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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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homme s'en relèverait. Un
spectre disparaissait, le spectre de ce qu'aurait pu être Adolf
Hitler sans thérapie. « Un malheureux sans doute, pensa
Freud, un criminel peut-être. Qui sait ? Allons, ne nous
flattons pas trop. »
    Freud
considéra le cigare éteint entre ses mains pensa
deux choses : premièrement que pour rien au monde il ne
changerait de métier ; secondement qu'il devrait tout de même
arrêter de fumer.
    Il
saisit une allumette démesurée et tenta de raviver le
havane qui, désormais, tel un cadavre, puait froidement la
cendre et refusait de se réanimer.
    Une
troisième idée illumina alors Freud :
Et
si j'essayais les Ninas ?

Est-ce
vrai, Dolferl, ce que vous m'avez avoué l'autre soir ?
Ce
qui est dit est dit, Wetti !
    Hitler
continuait à croquer Wetti sous son crayon rebelle.
Me
trouvez-vous belle ?
C'est
évident, nom de Dieu.
Me
désirez-vous ?
Ce
qui est dit est dit.
    Lui-même
découvrait la manière raide et militaire qui s'imposait
à lui dès qu'il parlait d'amour. Ses intonations
prenaient un tour tranchant, péremptoire, définitif,
qui manquait certes de romantisme mais ni d'autorité ni de
virilité. Wetti frissonnait rêveusement sous ses assauts
verbaux.
Mais
vous savez bien que c'est impossible, Dolferl.à |
Impossible
? Qu'est-ce qui m'empêcherait d'être amoureux de vous ?
    Et
il barra rageusement sa feuille : une conspiration de son crayon, de
sa gomme et du grain du papier l'empêchait de fixer ce visage
sur son carnet.
C'est
impossible, Dolferl, je ne peux pas me donner à vous, vous le
savez bien.
    Bien
sûr qu'il le savait puisque Wetti remâchait son histoire
tous les après-midi.
Je
ne peux me donner à vous car j'ai... j'ai définitivement
renoncé aux hommes.
    Et
s'ensuivait invariablement l'épopée cuisante de son
mariage raté. Cet homme sanguin et velu qu'on la força
d'épouser. Ses baisers qui l'écœuraient pendant
les fiançailles. Enfin, l'horrible nuit de noces, ce corps
d'orang-outan qui lui déchirait le ventre, qui râlait,
qui jouissait, qui giclait. Sa honte au matin lorsque le drap aux
immondices fut exposé à la fenêtre. Sa décision
d'en finir au plus vite avec cet homme, puis avec tous les hommes.
Son propre corps qu'elle s'était mise à haïr
depuis que la loi l'avait livré aux mains de son bourreau. Son
désespoir. Son soulagement, enfin, le matin où l'on
vint lui annoncer qu'elle était veuve.
Vous
comprenez, Dolferl, c'est trop tard. Même si je vous aime
beaucoup, vous arrivez trop tard.
    Wetti
détestait tellement le désir des hommes qu'elle ne
fréquentait plus que des homosexuels car elle les savait
désintéressés. Ils célébraient sa
féminité sans la souiller.
Vous
saisissez, Dolferl, je suis un peu leur mère, même si
je n'ai pas encore vraiment l'âge.
    Cette
partie-là du récit plaisait moins à Hitler. Il
avalait difficilement la proximité de ces invertis, et encore
moins d'avoir été pris pour l'un d'eux.
Wetti,
ce que j'éprouve pour vous est fort et pur. Cela n'a rien à
voir avec votre mari, ni les compliments mondains de vos petits
amis. Je...
Taisez-vous.
Je ne veux pas vous écouter.
    Elle
s'alanguissait pour protester. Sa fausse fureur avait quelque chose,
non pas de coquet, mais de troublé. Elle étirait sa
phrase, elle ne la faisait pas claquer comme un refus, elle
l'alourdissait de connivences, elle semblait dire derrière : «
J'entends très bien ce que vous dites et cela ne me déplaît
pas, au fond. »
    Cette
situation suffisait à combler Hitler. Dépourvu de toute
expérience, il aurait été bien encombré
par un consentement et n'aurait pas su comment s'y prendre. D'autant
que son désir pour Wetti relevait plus de la pose que de la
réalité. Il avait cru bon, ce dimanche fatal, de clamer
haut et fort sa flamme afin qu'on ne le confondît pas avec les
invertis. Une fois cette reconnaissance acquise, il n'éprouvait
aucun besoin d'aller plus loin. Il était, à ses yeux,
l'amant officiel de Wetti. Il l'était aux yeux des autres
pensionnaires du 22, rue
Felber. Il l'était, le dimanche, aux yeux des invertis. Et
peut-être même l'était-il aux yeux de Wetti
elle-même...
    Par
mille attentions, elle voulait faire oublier à Hitler ce
qu'elle ne lui donnait pas. Celui-ci ne manquait pas d'en tirer
avantage et lui faisait sentir, par l'expression outrée de son
ardeur, à quel point il fallait qu'il l'aime pour endurer sa
défaillance. Il en profita tant que Wetti se transforma, très
vite, en mère

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