Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
Vom Netzwerk:
plaît, pour
l'instant, laisse-nous faire des affaires. » C'est normal. Ça
a toujours été comme ça. Mon travail, c'est de
créer un désir, puis une attente. Mais mes clients ont
confiance, ils savent que je ne les tromperai pas. C'est comme ça
que j'ai commencé avec Klimt et Moser. Et maintenant, on
s'arrache leurs œuvres pour des millions de marks. Eh oui, il
faut savoir être patient. C'est très joli, ça,
mon garçon, mais je préfère quand vous vous
attaquez aux monuments connus. Les clients sont preneurs. N'ayez pas
peur. Chez vous l'originalité ne vient pas du sujet mais du
traitement. Ne vous retenez pas. Oui, les grands monuments de
Vienne. Regardez Klimt, toujours des sujets classiques et pourtant,
la peinture ne l'est pas. Ah, Klimt, je le revois, comme vous,
hésitant, me regardant avec méfiance, pensant que je
le baratinais parce que je croyais en son talent. Jeunesse ! Belle
jeunesse ! Six tableaux ? Huit serait idéal. Ou alors les
petits formats. Beaucoup de petits formats. Plus tard, quand vous
serez bien établi, vous passerez au grand format. Comme
Klimt. Toujours comme Klimt. Comme vous me le rappelez !
    Lorsque
Fritz Walter quittait la pièce les toiles sous le bras, Hitler
demeurait ivre un bon moment. Rassasié de compliments, gonflé
d'énergie, des bulles d'espoir éclataient dans sa tête.
Un jour, il serait riche. Un jour, il serait Klimt. Lui qui
connaissait très mal l'œuvre de ce grand peintre et qui
avait d'abord détesté le peu qu'il avait vu avait
totalement changé d'avis sur le fondateur de la Sécession
: non, on ne pouvait absolument pas nier que Gustave Klimt fût
un génie. Un génie discutable, certes, comme tous les
génies, mais un génie. Un peu trop moderne aussi.
Parfois. Un peu trop décadent. Un peu trop... mais un génie.
Oui. Un génie indiscutable. D'ailleurs, Hitler s'en sentait
très proche.
    Dans
les heures qui suivaient, Hitler, grisé, émerveillé
d'être lui-même, se jetait avec ardeur sur son travail.
En route pour le chef-d'œuvre !
    Au
milieu de l'après-midi, il dessoûlait. La monotonie des
calques et des traits plusieurs fois repassés le rendait
progressivement au réel.
    Le
soir, il avait la gueule de bois.
    Par
bonheur au dîner, Wetti lui donnait l'occasion de revivre les
scènes. Il lui rapportait, d'abord exactement, les paroles du
marchand puis improvisait librement sur les correspondances que
Walter avait notées entre lui et Klimt. Il était
intarissable pour se complimenter. C'était la part de son
métier d'artiste qu'il préférait.
Sais-tu,
Dolferl, que Werner m'a assuré, dimanche après-midi,
que la galerie Walter était l'une des plus renommées
de Vienne ?
Je
le sais bien, dit Hitler en se rengorgeant.
Vraiment
la plus importante. Il était très impressionné
que tu y sois exposé. Très, très impressionné.
    En
vérité, Wetti n'osait pas dire que Werner ne l'avait
même pas crue.
    Hitler
accepta le compliment, bien qu'il vînt de Werner, cet horrible
pédéraste qui avait osé le prendre pour l'un des
siens.
Bien
sûr que la galerie Walter est la meilleure de la ville. Fritz
Walter a découvert Klimt et Moser. Il faudra d'ailleurs que
je m'y rende un jour. Voir comment ils accrochent mes toiles.
Est-ce
que je pourrai y aller avec toi ? Je serais tellement heureuse. Je
t'en prie.
Nous
verrons.
    Hitler
n'était pas encore allé à la galerie parce
qu'elle se trouvait à l'autre bout de la ville et surtout
parce que Fritz Walter le lui avait formellement interdit
La
galerie ? C'est la place des tableaux. Ce n'est pas la place du
peintre. Vous, vous devez rester ici à travailler.
Travailler. Toujours travailler. C'est le lot du génie.
Laissez-moi m'occuper du commerce. A moi les tâches ingrates
et vulgaires. Je vous défends, jeune homme, de vous rendre à
la galerie. Ce pourrait être la fin de notre relation.
    Les
menaces avaient retenu Hitler dont le narcissisme se serait pourtant
bien accommodé d'une promenade au milieu de ses toiles
accrochées entre Gustav Klimt, Joseph Hoffman et Koloman
Moser.
    Un
mercredi cependant, Fritz Walter ne vint pas.
    Hitler
attendit toute la journée, descendit quinze fois le guetter
dans la rue, refusa de s'alimenter jusqu'au soir, où, sous
prétexte d'une soupe aux champignons trop poivrée, il
fit une scène épouvantable à Wetti.
    Le
lendemain, il diagnostiqua un refroidissement pour ne pas se rendre à
la gare — l'Académie pour Wetti — et attendit
encore.
    Le
vendredi, il

Weitere Kostenlose Bücher