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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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regarda la peinture du Palais Trautson
qu'il était en train d'achever et s'exclama pensivement :
C'est
très très bon. Je m'appelle Fritz Walter, je suis
marchand d'art et je voudrais vous prendre dans ma galerie.

    Adolf
H. découvrait le goût amer de la victoire. Il était
seul à se réjouir ; les autres élèves lui
en voulaient d'avoir bousillé sa légende ; il leur
avait ôté un de leurs plus riches sujets de curiosité,
de conversation, de plaisanterie : ses fameuses syncopes. Seuls
Neumann et Bernstein franchissaient cette barrière
d'indifférence et continuaient à avoir des
conversations théoriques avec Adolf ou plutôt devant Adolf
car celui-ci se laissait prendre à partie par l'un ou par
l'autre plutôt qu'il ne s'exprimait.
    Il
n'éprouvait aucun sentiment de solitude car il n'avait jamais
pensé qu'il avait besoin des autres ; il venait d e
découvrir que certaines joies — sans doute les plus
essentielles — ne peuvent être partagées, ni même
racontées ; elles nous constituent au même titre que nos
yeux ou notre colonne vertébrale ; elles font de nous ce que
nous sommes. Adolf n'avait plus peur des femmes, mais cela il ne
pouvait le dire ni aux hommes ni aux femmes.
    Derrière
l'arbre où, un après-midi, il avait attendu le modèle,
c'était elle qui l'attendait ce jour-là.
Une
minute. Nous avons à parler.
    Adolf
eut peur en la voyant surgir. Depuis l'instant précis où
il l'avait contemplée nue sans faiblir, le modèle
l'accablait d'un mépris hostile. Elle semblait ne plus
supporter qu'il la regardât. Lorsqu'elle était obligée
de remarquer qu'il était là, un air ennuyé
crispait ses mâchoires.
Je
te félicite, dit-elle d'un ton coupant qui signifiait le
contraire. Il semblerait que tu sois devenu moins empoté avec
les femmes.
    Adolf
regarda ses chaussures. Comment avait-il pu oublier qu'elle était
la tante de Dora ? Elle allait sans doute lui demander de mettre un
terme à leur relation.
Cette
petite idiote de Dora sera quand même, une fois, arrivée
à réussir quelque chose. Etonnant.
    Ne
s'attendant pas à ce qu'elle critiquât Dora, Adolf
releva le visage avec surprise.
Vous
couchez ensemble, bien entendu ?
    Elle
posait la question en s'indignant déjà d'une réponse
qu'elle n'avait pas encore entendue.
Oh,
ne proteste pas, continua-t-elle, Dora ne sait faire qu'une chose,
c'est s'allonger. Pour poser. Pour dormir. Pour faire l’amour.
Toujours à l'horizontale, je ne vois pas comment elle
changerait...
    La
remarque amusa Adolf par sa justesse. La molle Dora ne lui laissait
pas le souvenir d'une femme debout.
Donc,
tu n'es plus puceau ?
    Là
non plus, elle n'attendit pas la réponse. Elle sourit d'un air
cruel. Curieuse conversation, pensa Adolf, pas vraiment difficile à
soutenir : le modèle questionne, répond et lit dans les
pensées.
Tu
te demandes où je veux en venir, n'est-ce pas ?
    Il
se contenta de la regarder d'un air paisible.
Voilà.
J'ai une question à te poser.
Et
vous savez déjà la réponse ?
J'ai
mon idée.
Alors
pourquoi me la poser ?
Pour
que tu l'entendes.
    Ils
se jaugèrent. Adolf comprit qu'il avait quelqu'un de dangereux
en face de lui, dangereux car intense, dangereux car imprévisible,
dangereux car capable, sur un frémissement de cils, de devenir
ami ou ennemi à vie. Il était rentré dans la
cage de la panthère sans même avoir eu le temps de s'en
rendre compte. Par son immobilité complète, il lui fit
comprendre qu'il était prêt. Satisfaite, elle prit le
temps de savourer sa question dans sa bouche avant de la lâcher.
Est-ce
que tu sais rendre une femme heureuse ?
Quel
intérêt ?
    Elle
cilla. Il venait de marquer un point. D'un puceau de la veille, elle
n'attendait pas tant de cynisme.
Oui,
quel intérêt ? reprit-il. L'essentiel est que je sache
être heureux, moi, avec une femme.
Petit
morveux, cracha-t-elle.
Etre
heureux avec une femme, ça y est, je sais.
Pauvre
larve, je suis certaine que tu es incapable de donner du plaisir.
Qu'est-ce
que vous en savez ?
Je
sais que tu n'es qu'un homme et que Dora n'est qu'une putain. A vous
deux, vous devez en rester à la gymnastique.
Elle
crie.
Tu
la paies ?
Je
vous dis qu'elle crie.
Bien
sûr qu'elle crie si tu la paies, c'est une bonne putain.
    Sous,
les piques et assauts du modèle, Adolf déconcerté
venait de perdre sa première tactique de défense :
l'indifférence totale à la question posée.
Traqué dans son orgueil de mâle, il était sorti
du trou et voilà que maintenant

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