La Part De L'Autre
désormais très à
l'aise car ravi d'avoir vendu toutes ses toiles.
Monsieur
Walter se trouve actuellement à l'étranger.
Ah
tu vois ! s'exclama Wetti en lui donnant un coup de coude
triomphant, pas du tout dans ses manières distinguées
habituelles.
Hitler
nageait dans le bonheur.
Et
quand reviendra-t-il ?
La
semaine prochaine.
Eh
bien, dites à monsieur Fritz Walter qu'Adolf Hitler est passé
et que je l'attendrai, comme chaque mercredi matin, à huit
heures.
Au
22, rue Felber, ajouta Wetti en rougissant, émue de citer sa
pension sous des ors si prestigieux.
L'employé
prit un air embarrassé.
M'avez-vous
dit Fritz Walter ?
Oui.
Je
suis désolé, je parlais de Gerhard Walter.
N'est-ce
pas Fritz Walter qui dirige cette galerie ?
Non,
monsieur. Il s'agit de Gerhard Walter.
Alors
il a un fils !
L'employé
rougit comme s'il avait entendu une obscénité.
Non,
je puis vous assurer que monsieur Gerhard Walter n'a pas d'enfants.
Mais
enfin, s'emporta Hitler, je rencontre tous les mercredis chez moi
monsieur Fritz Walter qui vend ensuite mes toiles ici.
Et
vous vous appelez ?
Adolf
Hitler, répéta-t-il, hors de lui, à cet employé
qui, depuis tout à l'heure, n'avait rien écouté.
Le
vendeur ne se démonta pas.
Je
crois que vous faites erreur, monsieur... Hitler. Je ne doute pas de
l'intérêt de votre travail mais je peux vous assurer
que la galerie Walter n'a encore jamais exposé d'œuvres
de vous.
Et
sans attendre, il se retourna, ouvrit un registre qu'il lui mit,
d'autorité, dans les mains.
Voici
le catalogue des deux dernières années. Comme vous le
voyez...
Wetti
prit un air indigné.
Vous
dites n'importe quoi, mon garçon. J'ai vu passer moi-même
monsieur Fritz Walter sur mon palier tous les mercredis matin.
Sur
votre palier ? répéta ironiquement l'employé en
parcourant l'accoutrement de Wetti depuis le chapeau exagérément
plumé jusqu'aux bottines à boutons.
Viens,
Wetti. Ne restons pas ici.
Ils
repassèrent le seuil sous le rire sardonique du timbre
cristallin.
Un
silence consterné alourdissait leurs pas.
Ils
marchèrent sans but, suivant les mouvements des passants.
Hitler préférait se taire plutôt qu'expliquer ce
mystère. Il le subissait en bloc. Il avançait, étourdi,
abasourdi. Lorsque son esprit commençait à émettre
des hypothèses, à préciser la tromperie dont il
avait été victime, il se mettait à souffrir
tellement qu'il arrêtait immédiatement de penser,
préférant un ahurissement global aux multiples pointes
douloureuses des mises au point.
Ils
débouchèrent sur le Prater.
Wetti
se plaignit d'avoir les jambes fatiguées et demanda qu'on
s'arrêtât dans un café. Hitler avait peur qu'une
fois assis ils fussent obligés de parler.
Soudain,
il crut avoir une vision. Il battit des paupières pour
s'assurer qu'il ne rêvait pas. Non, c'était bien vrai.
Cinquante mètres plus loin sur l'avenue, Fritz Walter, dans
son fameux manteau d'astrakan, interpellait les passants pour leur
vendre des tableaux qu'il avait étalés sur un banc. Par
réflexe, il saisit le bras de Wetti, la fit pivoter et la
catapulta dans le premier café. Quoi qu'il arrive, elle ne
devait pas voir cela.
Au-dessus
de deux chocolats fumants, il lui expliqua qu'elle ne pouvait laisser
aussi longtemps la pension sans surveillance ; lui, avait encore
besoin de réfléchir, il la rejoindrait plus tard. Il la
conduisit — la porta quasiment — jusqu'au tramway, puis
s'approcha de Fritz Walter.
Celui-ci
n'avait rien perdu de son éloquence. En revanche, ce qui, dans
la chambre d'Hitler, semblait une rhétorique de mécène
devenait là le vulgaire bagout d'un bateleur. Il n'hésitait
pas à apostropher les promeneurs, voire à les retenir
par le bras.
Hitler
se tenait derrière un arbre. Il attendait le soir.
Il
ne tenait pas à faire un esclandre en public. Il n'était
pas sûr de contrôler ses nerfs, ni surtout d'avoir
l'ascendant sur le fort et trapu Fritz Walter.
Lorsque
la nuit descendit sur la chaussée et que la fréquentation
du boulevard se raréfia, Hitler quitta sa cache et s'approcha.
Fritz
Walter, par réflexe, le héla puis s'arrêta au
milieu de sa phrase lorsqu'il le reconnut.
Ah,
Hitler...
Il
le laissa avancer, tentant de lire sur son visage quel système
de défense il allait adopter.
Menteur,
s'écria Hitler. Menteur et voleur.
Voleur
? Pas du tout ! Je t'ai toujours apporté l'argent.
Tu
m'as fait croire que tu dirigeais la galerie Walter.
Fritz
Walter lui éclata de
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