La Part De L'Autre
rire au nez, un rire mauvais, un rire qui
gifle.
Si
tu es assez crétin pour me croire, c'est ton problème.
Penses-tu vraiment que la galerie Walter prendrait tes
décalcomanies, non, mais tu le crois, tu es sérieux ?
J'ai déjà assez de peine à les refiler aux
touristes.
Hitler
resta paralysé. Il ne s'attendait pas à cela : au lieu
de se défendre, Fritz Walter attaquait. Il mordait fort.
Mon
pauvre Adolf, il faut vraiment avoir ta prétention pour
croire une demi-seconde à ce que je t'ai dit. Chaque fois,
j'en rajoutais une louche en me disant : non cette fois-ci, il va se
rendre compte que je dis n'importe quoi, cette fois-ci, il va se
foutre de ma gueule. Eh bien, non ! Jamais ! Tu gobais tout ! Et le
Klimt ! Et le Moser ! Tu ne me contredisais pas, tu en redemandais,
la bouche ouverte, comme maintenant, attendant une nouvelle becquée
!
Hitler
resta figé, les bras crispés le long du corps. Sa seule
réaction fut de laisser couler ses larmes.
Des
problèmes, monsieur ?
Un
agent de police s'approcha d'Hitler. Fritz Walter se calma,
Ce
monsieur vous embête, monsieur ? Il a tenté de vous
escroquer ? Il ne vous a pas rendu votre monnaie ?
Le
policier se mettait en quatre pour plaire à Hitler. Il avait
visiblement très envie de mettre la main sur le marchand
ambulant.
Non,
murmura Hitler.
Ah
bon, fit le policier, déçu. Mais s'il vous embête,
il faut nous le dire. On le connaît bien, ce lascar. Ce n'est
pas la première fois qu'on le coffrera. A croire qu'il aime
ça, hein, le Hanisch.
Fritz
Walter regardait le sol d'un air frileux, attendant que le policier
eût fini. Celui-ci tourna encore autour de lui, l'œil
soupçonneux, chercha dans l'étalage ce qu'il pouvait
bien critiquer ou verbaliser. Puis faute d'avoir trouvé un os
à ronger, finit par s'éloigner. Fritz Walter, sans plus
de comédie, soupira avec soulagement. Il avait réellement
eu peur. Presque timide, en le regardant par en dessous, il remercia
Hitler de son silence :
C'est
gentil de n'avoir rien dit.
Hitler
se sentait glacé.
Hanisch,
c'est quoi ?
C'est
mon vrai nom. Reinhold Hanisch. Je me fais appeler Fritz Walter
parce que cela fait des années que j'ai la police au cul. Oh,
pour des broutilles, mais enfin...
Où
étais-tu ce dernier mois ?
En
prison. Pour une vieille histoire de rien du tout. Sans importance.
Hitler
aurait voulu avoir cinq ans, taper du poing, trépigner, exiger
qu'on lui rendît ses anciennes illusions : il avait
attendu Fritz Walter, le célèbre galeriste qui croyait
en son génie, pendant un mois, et non Reinhold Hanisch qui
purgeait une peine pour un vol minable dans une cellule.
On
va prendre un verre ? demanda Hanisch en lui tapant l'épaule.
Adolf
H. et le modèle se rendirent à l'hôtel Stella.
Escalier étroit, tortillé, branlant, qui condamnait
déjà à la promiscuité. Couloir couvert
d'un tapis rose et grenat indécis, une langue chargée
qui ferait la longueur d'un étage. Porte 66, bien qu'on lût
99 car, l'un des clous manquant, la plaque d'émail écaillé
s'était retournée. Lit de fer un peu trop bas.
Dessus-de-lit en patchwork cousu par une ouvrière daltonienne.
Murs fuchsia déjà léprosés. Rien qui
inspirât le désir et pourtant, Adolf, surexcité,
se jeta sur elle. Elle ne lui apprit rien. Elle le laissa faire. Il
s'épuisa sur elle. Elle ne le regarda ni froidement ni
chaudement, elle semblait observer une bête curieuse. Il
pensait l'épater par le nombre de ses assauts. Il avait joui
cinq fois.
Et
toi ?
Pas
une seule fois.
Le
lendemain, il refit le même score.
En
vain.
Elle
lui expliqua le sens du mot frigide. Qu'il se rassure. Elle n'était
pas du tout comme ça. Cela venait juste de lui. Le lendemain,
il s'économisa un peu. Il prit le temps d'étudier mieux
ce corps et s'appliqua à jouer de tous les boutons et manettes
qui sont censés provoquer la jouissance d'une femme. A la fin,
elle concéda, bonne joueuse :
En
tout cas, ce n'est pas faute d'avoir essayé.
Les
jours suivants, il continua à appliquer cette méthode.
Il jouissait moins. Elle pas plus.
Il
eut un accès de rage.
Mais
tu ne m'apprends rien ! Tu m'avais promis de m'apprendre à
faire jouir une femme et tu ne m'apprends rien.
Si.
Je t'ai déjà appris que j'existe.
Deux
jours passèrent pendant lesquels Adolf fut encore plus entêté
d'elle qu'il ne l'aurait cru. Parce qu'elle refusait de lui dire son
nom, il l'appelait Stella, comme l'hôtel où ils se
rencontraient. Il songeait à des
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