La Part De L'Autre
discours pour abuser les siens...
Lorsqu'il
sonna à la porte, il cherchait encore.
Qui
est là ? murmura une petite voix incommodée derrière
le battant.
Adolf.
Adolf
qui ?
Adolf
Hitler
Je
ne te crois pas. De toute façon, je n'ai pas le droit
d'ouvrir. Tralala...
Et
il entendit l'enfant s'éloigner, insouciante, de la porte. Il
n'avait pas prévu que sa sœur Paula aurait quitté
le foyer Raubal pour visiter aussi sa tante. Il se rua contre le
battant et le couvrit de coups.
Ouvre-moi.
Je suis ton frère, Paula. Tu m'ouvres !
La
petite voix gémit :
Comment
je sais que c'est toi ?
Va
à la fenêtre et regarde.
L'enfant
apparut derrière le rideau, l'écarta, écrasa sa
grosse face plate sur la vitre et ne parut pas convaincue. Hitler
détestait cette gosse depuis toujours ; elle n'était
pas en train d'améliorer son cas. Elle finit par revenir
lentement derrière la porte.
Tu
lui ressembles un peu.
Je
suis ton frère.
Non,
mon frère est toujours bien habillé. Et puis mon
frère, il aurait la clé de la maison.
Paula,
je vais me fâcher.
Dans
son dos une voix l'interpella :
Adolf
! Toi ! Ici !
Tante
Johanna revenait des courses. Hitler, en se retournant, ne vit
d'abord que l'extrême ressemblance avec sa mère, il eut
un mouvement du cœur et faillit se jeter dans ses bras. Mais le
regard objectif et froid qui l'inspectait de haut en bas retint son
geste et lui confirma qu'il s'agissait bien de tante Johanna.
Maman
sans le regard de maman.
Il
se sentit plus nu que nu. Elle lisait tout sur lui : ses échecs,
sa vie errante, son refus de pactiser avec l'ordre établi, son
entêtement. Elle voyait et blâmait tout.
Mon
pauvre petit...
A
la grande surprise d'Hitler, tante Johanna avait les larmes aux yeux
et le serra contre elle.
Si
ta maman te voyait comme ça...
Hitler
ne releva pas l'erreur — sa mère valorisait ce que
Johanna condamnait — car il sentit, coincé contre les
gros seins serrés dans un jute râpeux sur lesquels elle
pressait sa tête, qu'il obtiendrait peut-être ses
billets.
Elle
le fit entrer, manger et boire avant de lui poser des questions.
Alors,
quels sont tes projets ? Es-tu revenu à des idées
raisonnables ?
Oui.
J'abandonne la peinture.
Le
visage de Johanna s'éclaira
Je
vais devenir architecte.
Une
ride fronça le front de Johanna. Oui, architecte, c'était
un vrai métier, même s'il y avait du dessin. Elle aurait
préféré maçon ou charpentier, cela lui
paraissait plus sûr, plus tangible, mais pourquoi pas ?
Architecte...
Comment
devient-on architecte ? demanda Johanna. Doit-on rentrer en
apprentissage ?
Non.
Il faut faire des études.
Déçue,
Johanna se tut. Elle soupçonnait tout métier qui
exigeait des études de ne pas être un vrai métier.
Pour elle, un étudiant était un garçon insolent
qui buvait trop et voulait sauter sur les filles, rien d'autre...
Ah...
Oui.
Et avant, il faut réussir un concours. Un concours que je
suis en train de préparer.
Il
pensa à ses tableaux de l'été, monotones copies
des monuments viennois, et il trouva donc légitime d'ajouter :
J'y
travaille tous les jours.
Ah...
Johanna
était intimement persuadée qu'on lui annonçait
une nouvelle catastrophe. Mais comment le prouver ?
Et
cela va te prendre du temps ?
Quelques
années. Cinq ans.
Tu
ne peux pas trouver plus court ?
Si.
Je peux toujours entrer dans l'administration, me mettre à
boire et taper sur ma femme... Comme papa.
Johanna
baissa les yeux. Hitler l'avait prise de court ; elle avait toujours
plaint sa sœur d'avoir un mari si violent et ne pouvait donc
pas le donner en exemple.
Maman
aurait aimé que je devienne architecte, murmura Hitler.
Sa
pauvre sœur. La malheureuse avait toujours eu des idées
de grandeur ; elle avait aussi toujours tout pardonné à
ce fils qu'elle adorait. Johanna, au souvenir de sa sœur si
douce, si affectueuse, se sentit soudain coupable d'être si
lucide. Elle regarda Hitler et se demanda si son malaise ne venait
pas du fait qu'elle n'avait jamais aimé son neveu. Elle eut
mauvaise conscience.
Ma
pauvre sœur qui me les a confiés. Fais un effort,
Johanna.
Si
je comprends bien, tu es venu nous rendre visite. Tu vas repartir
dans quelques jours à Vienne ?
Il
faut que j'y sois demain.
Oh,
quel dommage !
Johanna
et Hitler se regardèrent. Ils savaient qu'ils mentaient tous
les deux. Hitler ne voulait pas rester dans sa famille où il
se sentait en exil ; Johanna envisageait mal d'avoir mauvaise
conscience plusieurs jours.
Oui,
le
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