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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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n'arrivait pas à admettre
que Stella puisse lui causer de la souffrance. Il lisait et relisait
la lettre comme un archéologue déchiffre un papyrus qui
ne s'adresse pas à lui. Il cherchait l'erreur. Il espérait
le moment où la clé de l'énigme lui arriverait,
où il pourrait rire de cette bonne plaisanterie.
    Mais
ses lectures répétées finirent par délivrer
le message : Stella le quittait définitivement et sans
explication.
    Comme
s'il avait avalé un sac de ciment, Adolf demeura paralysé,
lourd, compact. Il n'était plus qu'un bloc de souffrance. Il
n'y avait même pas la place pour que s'infiltrât la
colère, l'insulte ou l'indignation. Non. Une souffrance
pétrifiante. Vivre sans Stella. Vivre sans se mêler au
corps de Stella. Vivre sans l'amour partagé.
    Puis
la souffrance cessa de faire bloc et se fissura en mille petites
pensées ; c'est toujours à ce moment, lorsque, après
le choc, la souffrance s'allège et se disperse, qu'elle
devient le plus douloureuse.
    Adolf
se rua contre les murs ; puis il y jeta son crâne. En finir !
En finir vite ! Comme tous les êtres trop démunis
en face du mal, Adolf pensa immédiatement à la mort.
    Dans
un mélange confus d'altruisme et d'égoïsme, il
voulait à la fois s'immoler au nom de l'amour et faire cesser
dans l'instant sa détresse. Il s'ouvrit le front contre le
bord de l'étagère et se couvrit le visage de sang. Il
suffoquait. Accroupi le long de la cloison, il continuait à
s'infliger des coups. N'importe quelle douleur dans le corps plutôt
que cette douleur dans l'esprit. Plus il aurait de bleus, de
blessures et de brisures, plus il transférerait la douleur
dans sa chair, moins il souffrirait.
    Après
avoir porté une heure sa rage contre lui, il ressaisit la
lettre et commença à l'interpréter. Stella le
quittait pour se marier. Elle avait beau lui parler de son bonheur
avec lui, visiblement ce bonheur ne suffisait pas. Elle ne lui
reconnaissait qu'une qualité; la jeunesse.
    Adolf
se mit à pleurer doucement, lentement, presque au ralenti,
comme si chaque larme était une lame de rasoir qui passait
lentement sur sa paupière en la déchirant
méticuleusement. Il peinait à respirer. La jeunesse
était la seule qualité qu'il ne garderait pas. Il en
concluait ce qu'il craignait depuis des mois : il n'était ni
assez beau, ni assez riche, ni assez intéressant pour retenir
une femme. Elle avait raison : il ne valait pas mieux qu'une toute
petite lettre de rupture. Une notule...
    Il
s'accablait.
    Stella
ayant commis son forfait le 21 décembre 1909, Adolf quitta
Vienne le 23 et fit à sa sœur, sa nièce Geli, sa
tante Angela Raubal la bonne surprise de les rejoindre pour Noël.
On lui joua le retour de l'enfant prodigue. Il fut fêté,
embrassé, câliné. Alors qu'il pensait leur
imposer une présence sinistre, il parvint assez bien à
dissimuler son désarroi ; il se surprit. En fait, seul homme
dans ce foyer composé d'une femme et de deux petites filles,
Paula et Geli, il se sentait bien, il se réchauffait à
l'élément féminin, il retrouvait un peu, sous
forme douce, apaisante et affadie, les sortilèges de Stella.
    De
retour à Vienne, il mit une énergie nouvelle à
son travail. Il croyait que c'était de la rage — je
vais lui montrer que je peux vivre sans elle —,
c'était de l'ambition — je
vais me montrer digne de la mériter. Cr oyant
souffrir toujours, il se recomposait ; il voulait devenir un homme
capable de retenir Stella.
    Le
cours de nu, naturellement, le mettait en ébullition. Un
modèle indifférent, à la plastique superbe,
remplaçait Stella mais Adolf, lui, la dessinait en dialoguant
en imagination avec Stella. Les répliques fusaient dans sa
tête, il vivait les scènes d'explication ou de colère
qu'il n'avait jamais eues avec elle. Même s'il gardait le
fusain à la main, il ne faisait plus du croquis mais de
l'escrime.
    Le
professeur Rüder, un colosse, véritable menhir humain
surmonté d'une moustache, s'installa derrière Adolf et
le regarda travailler. Puis il saisit les cartons d'Adolf et
contempla les essais précédents.
Dites-moi,
mon garçon, qu'est-ce qui se passe ?
Pardon
?
    Adolf,
interrompu dans une grande diatribe contre Stella, sursauta. Rüder
soupesait les croquis, comme de la marchandise au poids.
Qu'est-ce
qui se passe ? Est-ce que vous ne seriez pas en train de devenir un
peintre ?
    Rüder
écartait les feuilles en éventail.
Regardez-moi
ça : enfin des sentiments, enfin des

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