La Part De L'Autre
masses trouvait enfin la
solution : les transformer en peuple autour d'un individu
charismatique, unifier les cœurs autour du chef, leur inculquer
son idéal, les harmoniser en leur faisant prêter serment
au chef, prier avec le chef, louer le chef, le glorifier. Hitler
n'écoutait plus un opéra, il vivait une expérience
religieuse. Si les trois premiers actes racontaient l'ascension de
Rienzi, les deux derniers en racontaient la chute. Cela n'atténua
pas l'enthousiasme d'Hitler. Au contraire. Que Rienzi fût
trahi, calomnié, le confirma dans son idée que les
grands hommes sont toujours maltraités, que les génies
vivent avec douleur. Enfin quand Rienzi — vaincu mais noble,
battu mais héroïque — mourut, isolé, réfugié
dans un Capitole dévoré par les flammes, Hitler vibra
avec une intensité essentielle, profonde, qui engageait tout
son être : Voilà
comment il faut mourir, seul, à la tête de tous, seul
au-dessus de tous, le front toujours dans les nuages.
Aux
saluts, il applaudit les artistes avec démence : il les
remerciait d'avoir chanté, il les remerciait d'avoir composé
cette œuvre, il les remerciait de l'avoir révélé
à lui-même. Que c'était beau, la politique, quand
cela devenait aussi de l'art...
Il
quitta son fauteuil sans peser sur le sol, heureux. Au fond, il avait
encore le choix : l'architecture ou la politique. Oui ? Pourquoi
pas ? L'architecture ou la politique... Pour l'instant, il n'avait
rien manqué, il s'était juste trompé de chemin,
il avait pris la route de la peinture qui n'était sans doute
pas la sienne. Maintenant, il voyait plus clair. Tout recommençait
l'architecture ou la politique ? Peut-être même les
deux ?
Dehors,
devant l'opéra, au bas des marches, Reinhold Hanisch
l'attendait pour lui casser la gueule.
Est-ce
que tu es amoureux de moi ?
Bien
sûr. Cette question !...
Stella
sourit : Adolf H. n'avait pas répondu, il avait crié.
Elle n'aurait jamais cru qu'un cri si déchirant pût
sortir d'un homme à propos d'une femme. Voilà. Elle
était fière. Dans sa vie, elle aurait obtenu ça.
La passion absolue d'Adolf où la violence d'attachement le
disputait à un désir sans fin ni frein.
Et
toi, est-ce que tu m'aimes ?
Oh
oui, dit-elle avec douceur, en savourant l'aveu.
Telle
était l'évidence effrayante : elle aimait. Elle
l'aimait d'autant plus qu'elle l'avait déjà sacrifié
: les préparatifs de son mariage avec le banquier avançaient.
Ils
marchaient autour du lac, comme tous les amoureux de Vienne. Stella
remarquait que les gens ne portaient plus le même regard sur
Adolf ; magnétisé par leur amour, il avait comme
embelli et forci. Il attirait les femmes.
«
Je lui ai donné le pouvoir sur les femmes. Elles se jetteront
sur lui. »
Elle
allait le quitter, le faire souffrir, mais elle lui avait donné
les moyens de poursuivre une belle vie sans elle.
Ils
allèrent se rafraîchir d'une glace sous un kiosque à
musique. Une fanfare jouait les valses de La
Veuve joyeuse.
Quel
est ton type de femme ?
Toi.
Rien que toi.
Je
suis sérieuse. Regarde autour de nous et dis-moi quelles sont
les femmes que tu trouves bien.
Sans
enthousiasme, Adolf promena une moue sur l'assistance et finit par en
extraire deux jeunes femmes. Stella les regarda avec avidité.
Elle serait donc trompée par ça... Comme elles étaient
banales, tout de même.
Je
ne te donne même pas six mois pour être dans les bras
d'une autre. Je ne me fais pas d'illusions. Tu es jeune et je suis
vieille.
Tu
n'es pas vieille.
Peu
importe, je le serai.
Moi
aussi.
Moi
avant toi.
«
Comme il est beau, comme il est tendre, comme il est indigné.
»
Aucun
homme ne peut se contenter d'une femme. Toi comme les autres.
Tu
parles des hommes comme tu parlerais des animaux. Je ne suis pas une
bête, je peux me contrôler.
Tu
vois, tu parles déjà de sacrifice. Te contrôler...
Te les couper et devenir morose afin de rester avec ta vieille
Stella. Non merci, je ne veux pas de ta pitié.
Plus
elle l'attaque, plus elle l'adore. Et ses réponses la
ravissent. Elle vérifie qu'elle va lui faire beaucoup de mal.
Stella,
tu t'emportes pour rien. Si notre histoire s'interrompait, je peux
t'assurer que ce serait de ta volonté, pas de la mienne.
Stella
se calma subitement.
«
On n'a pas le droit d'avoir autant raison sans le savoir. Le pauvre,
s'il devinait ce que je prépare. »
Elle
le regarda, et, d'un saut, mordit le lobe de son oreille, comme si
elle voulait arracher une cerise de
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