La Part De L'Autre
comprit au miaulement toujours plus
aigre que l'obus allait terminer sa trajectoire sur lui. Une chute
pesante secoua la terre à côté de sa main droite.
Il reçut de la glaise. L'obus n'explosa pas.
Pourquoi
justement cet obus-là n'explosa-t-il pas ? Hasard ?
Ne
devrait-on pas parler plutôt de protection ?
Oui.
Une étrange protection qui entourait Hitler d'une cuirasse
étanche ?
Ce
soir-là, les Anglais et les Français ouvrirent les
hostilités avec force et puissance, ils semblaient décidés
à mener une bataille enragée.
Hitler
attacha son chien derrière le bâtiment de Foumes où
s'était installée la logistique administrative et se
rendit dare-dare à Fromelles. Là, on envoya Hitler,
Schmidt et Bachmann à un poste de commandement avancé.
On dépêchait toujours les estafettes par groupe pour
être sûr que le message passerait quand bien même
l'une d'elles serait touchée.
Avec
difficulté, ils s'acquittèrent de leur mission. En
pénétrant dans le bâtiment, Hitler fut saisi d'un
pressentiment, quelque chose de vague et de fort à la fois. Il
perçut en lui, à un mauvais goût dans la bouche,
à la faiblesse d'une lampe à huile, qu'un malheur
s'annonçait. Mon
Dieu, si nous allions perdre la guerre cette nuit ! Ou bien c'est
Foxl. Quelqu'un a détaché Foxl. Non, c'est la guerre.
Je ne sais pas. Il
sortit, un peu désorienté, du bâtiment et aspira
puissamment l'air frais de la nuit pour se remettre.
L'explosion
le jeta à terre.
Un
obus venait d'atteindre le poste de commandement. Il avait éclaté
à l'intérieur du local. Une boucherie. Corps saignés.
Crânes traversés. Poitrines défoncées.
Jambes coupées. Il y avait là beaucoup d'hommes, des
téléphonistes, des estafettes, deux capitaines, un
commandant. Schmidt et Bachmann y étaient restés, on ne
les distinguait même pas dans la bouillie des autres. On mit
deux heures à sortir tous les corps et leurs morceaux. Les
brancardiers écrasaient en passant des caillots panés
de poussière. Des lambeaux de peaux restaient collés
aux pans de murs encore debout.
Cette
fois-ci, Hitler ne pouvait plus hésiter. Il savait. Son
immunité ne venait pas du hasard. Il était protégé.
La Providence lui avait donné le pressentiment étrange
qui lui avait fait quitter le lieu. Un pacte s'était conclu
entre le ciel et lui qui lui permettrait de faire cette guerre. De la
gagner. Et d'en sortir vivant.
L'adjudant
Hugo Gutmann arriva, consterné, sur les lieux.
Hitler,
en le voyant, tressaillit. Il venait d'obtenir une confirmation
supplémentaire. Il avait craint, un instant, que son chef se
trouvât aussi déchiqueté dans les décombres.
Si l'obus avait épargné l'adjudant Gutmann, cela
signifiait qu'Hitler aurait bien sa Croix de fer.
Le
sort lui déroulait le tapis rouge. Il retrouvait l'ivresse de
son enfance, ce sentiment que rien ne résisterait jamais à
son énergie.
Non,
il en avait la preuve, la preuve répétée : il
n'appartenait pas au hasard. Le ciel l'avait distingué. Son
étoile lui montrait un chemin. Il n'était pas comme les
autres : il avait un destin.
Le
froid était aussi meurtrier que le feu.
Les
mottes de terre gelées tuaient autant que les éclats
d'obus lorsqu'elles redescendaient au sol. Depuis le début de
la nuit, les projectiles s'acharnaient sur cette colline chauve,
calcinée, couverte d'hommes glacés, de blessés
et de cadavres.
Une
rafale venait de surprendre Adolf H., Neumann et Bernstein.
Heureusement, elle avait été tirée trop court ;
elle se contenta, dans un bruit aigre, de leur projeter des mottes
d'argile givrée à la figure.
Raté
! dit Bernstein.
Dommage
! dit Adolf.
Tel
était le rituel ironique : à chaque danger esquivé,
les trois hommes faisaient semblant de marier leur désappointement.
Raté
!
Dommage !
C'était
leur manière de savourer cette victoire — la leur, pas
celle de l'Allemagne —, de demeurer en vie.
Adolf
s'en réjouissait sans s'en étonner. Alors qu'il voyait
des soldats, chaque soir, se livrer à l'irrationnel, prier, se
signer, prononcer des formules, palper des amulettes ou leurs autres
porte-bonheur avant d'entrer dans le combat, lui ne croyait plus en
rien. Tout
dépend du hasard. On ne prie pas le hasard. Il n'arrive rien
que de fortuit. On est fortuitement affecté dans tel régiment.
On est fortuitement à dix mètres ou à deux
centimètres de l'obus. On naît fortuitement. On meurt
fortuitement. Adolf,
ne croyant en rien, n'attendait
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