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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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chair se mit à se déchirer dans tout son corps. Le
froid le faisait grelotter. Ou était-ce la fièvre ?
    Rendu
à la réalité par la souffrance, Adolf découvrit
qu'il y avait trois ou quatre brancards superposés de chaque
côté, surveillés par deux infirmiers assis.
    Le
chauffeur commença par jurer à chaque pan défoncé
de la route où butaient ses pneus, comme s'il insultait le
chemin à cause du mal qu'il infligeait à ses voyageurs,
puis, quand la chaussée fut plus lisse, il se mit à
fredonner un air viennois.
    La
douleur s'estompait et resurgissait. Adolf devenait une vague.
Parfois, les soubresauts le berçaient, ils le roulaient
cruellement sur une blessure. Il flottait.
    A
travers une fente de la bâche, il apercevait une étoile,
une seule, qui scintillait dans le ciel sombre et froid. Il eut
l'impression que cette étoile n'était là que
pour lui. Elle était son espoir. Droite et blanche.
Impassible.
    Le
chauffeur traversait la nuit en chantant à tue-tête.
L'émotion submergeait Adolf. Il pleurait doucement. C'était
l'effet de la valse viennoise : elle était si gaie qu'elle
pinçait le cœur d'une tristesse infinie.

    Hugo
Gutmann avait désormais peur de lui.
    Hitler
se tenait au fond de la pièce, raide, écarlate, imbu de
son bon droit et refusant de se taire.
     C'est
un déserteur ! Je vous assure que Schöndorf est déserteur
!
    L'adjudant
laissa l'estafette Hitler vitupérer car il devenait encore
plus violent si on le forçait à se taire. Comme toujours
lorsqu'il était ennuyé, le sous-officier vérifiait
du doigt le bon lissé de sa moustache. Rien ne le
rassurait plus que de se toucher ou de s'apercevoir, bien fringant,
dans un miroir.
    La
guerre traînait en longueur. Depuis plusieurs mois, les ennemis
se disputaient la même bande de terrain, avançant de
vingt mètres, reculant de cent. De part et d'autre, les hommes
s'usaient ; à force d'être agrippés sans cesse
aux mêmes positions, ils avaient le sentiment d'être pris
au piège dans une cage dont ils ne sortiraient jamais, à
moins de mourir. Le commandement avait confirmé ce mauvais
présage en faisant l'erreur de ramener les blessés, une
fois soignés, sur les mêmes champs où la mort les
avait, la premiè re fois,
épargnés ; ils avaient donc l'impression qu’on
les reversait là pour que la mort, cette fois, réussît
son travail. Du coup, la mutinerie grondait. Du coup, même de
bons soldats tentaient de déserter.
    Hugo
Gutmann les comprenait, bien qu'il dût les condamner.
N'avait-il pas lui-même rêvé d'échapper à
tout cela ? Peu de fuyards avaient disparu discrètement.
Beaucoup s'étaient fait arrêter et fusiller.
Quelques-uns venaient de trouver une voie d'évasion plus
subtile : la blessure qu'ils s'auto-infligeaient et qui nécessitait
qu'on les évacuât à l'arrière.
    L'agent
de liaison Hitler avait une telle faim de combattre pour son pays
qu'il aurait été le dernier à soupçonner
des soldats. Malheureusement, on lui avait révélé
un jour la tricherie et, depuis, furibond, il remettait en question
l'authenticité de toute blessure. Chaque matin, il arrivait
avec les ambulanciers et menait l'enquête. Il avait d'ailleurs
trouvé un moyen redoutable de distinguer la mutilation
infligée par soi-même à bout portant : une trace
de poudre restait sur la peau ou le tissu.
    Ce
critère s'était imposé pendant plusieurs
semaines — malgré les dénis de certains —,
envoyant quelques hommes en prison pour des années. Cependant,
des soldats irréprochables, des braves, étaient venus
protester auprès de l'état-major : dans un corps à
corps avec l'ennemi, le bout portant survenait aussi et l'on ne
pouvait faire des traces de poudre un critère de simulation.
L'état-major, craignant cette fois une mutinerie d'importance
dans cette guerre qui s'éternisait, avait reculé et
abandonné ses investigations.
    Hitler
en devint enragé. Il aimait sa solution — il aimait les
solutions simples — et ne supportait pas qu'on ne l'appliquât
plus. Du coup, il soupçonnait désormais tout le monde
de blessures antipatriotiques. Il questionnait les corps agonisants,
il se penchait avec scepticisme sur les os apparents au milieu de
chairs en bouillie, il devenait l'inquisiteur au milieu du personnel
soignant. Les médecins, outrés, avaient demandé
à son adjudant de le tenir à l'écart. Hugo
Gutmann venait de s'acquitter de cette mission.
     Si
on laisse s'installer un tel relâchement, on va

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