La Part De L'Autre
été choisi et apprécié par vous,
et que notre amitié fut sans doute la plus belle œuvre
de ma vie. C'est étrange, l'amitié. Alors qu'en amour,
on parle d'amour, entre vrais amis on ne parle pas d'amitié.
L'amitié, on la fait sans la nommer ni la commenter. C'est
fort et silencieux. C'est pudique. C'est viril. C'est le romantisme
des hommes. Elle doit être beaucoup plus profonde et solide que
l'amour pour qu'on ne la disperse pas sottement en mots, en
déclarations, en poèmes, en lettres. Elle doit être
beaucoup plus satisfaisante que le sexe puisqu'elle ne se confond pas
avec le plaisir et les démangeaisons de peau. En mourant,
c'est à ce grand mystère silencieux que je songe et je
lui rends hommage.
Mes
amis, je vous ai vus mal rasés, crottés, de mauvaise
humeur, en train de vous gratter, de péter, de roter, de chier
des diarrhées infinies, et pourtant je n'ai jamais cessé
de vous aimer. J'en aurais sans doute voulu à une femme de
m'imposer toutes ces misères, je l'aurais quittée,
insultée, répudiée. Vous pas. Au contraire.
Chaque fois que je vous voyais plus vulnérables, je vous
aimais davantage. C'est injuste, n'est-ce pas ? L'homme et la femme
ne s'aimeront jamais aussi authentiquement que deux amis parce que
leur relation est pourrie par la séduction. Ils jouent un
rôle. Pire, ils cherchent chacun le beau rôle, Théâtre.
Comédie. Mensonge. Il n'y a pas de sécurité en
amour car chacun pense qu’il doit dissimuler, qu'il ne peut
être aimé tel qu'il est. Apparence. Fausse façade.
Un grand amour, c'est un mensonge réussi et constamment
renouvelé. Une amitié, c'est une vérité
qui s'impose. L'amitié est nue, l’amour fardé.
Mes
amis, je vous aime donc tels que vous êtes. Neumann, trop beau,
trop brun, trop intelligent, trop doué, trop secoué par
le doute, je t'aime. Bernstein je t'aime quand tu boudes, quand tu
peins, quand tu râles, quand tu fais des saletés avec
d'autres hommes. Oui tous
les deux, je vous aime dans tous vos états.
Ne
souhaitez pas que je survive à cette nuit. Car si je vous
revois, je vous dirai tout cela dé vive voix, les yeux dans
les yeux, et vous serez terriblement gênés. S'il y a un
paradis, une vie après la vie, je vous y attends ; je veux
vous y voir arriver très très vieux, très très
riches, couverts d'honneurs, avec vos toiles exposées dans les
musées du monde entier ; prenez votre temps, je serai patient.
S'il n'y a rien, que du néant, j'y échapperai en
pensant à la force des sentiments qui nous ont unis et, tant
pis pour le néant, je vous attendrai quand même.
Pour
toujours votre ami,
ADOLF
H.
Hitler
détestait cette permission forcée. De retour à
Munich, il avait ressenti un rude choc : les gens n'éprouvaient
pas cette exaltation qui était la sienne au front. Ils étaient
moroses, déprimés, prêtant une large oreille aux
mauvaises nouvelles, suspectant les victoires annoncées de se
réduire à de la propagande gouvernementale. Le
quotidien devenant difficile à cause des privations, ils
souhaitaient tous que la guerre finisse vite.
Non,
il ne faut pas que la guerre s'achève, il faut que l'Allemagne
soit victorieuse. D'ailleurs, elle est entrain de gagner.
Les
visages l'écoutaient avec scepticisme. Hitler avait
l'impression, lorsqu'il clamait sa foi, qu'on le considérait
comme un grand malade dont il fallait supporter les sautes d'humeur ;
après tout, il allait retour au casse-pipe, il avait bien le
droit de croire que était pour gagner...
Dans
quelques brasseries, il était arrivé à faire
sortir quelques Munichois de leur réserve méfiante ; cependant,
cela avait été pour les entendre accabler les Prussiens
— comme le voulait la tradition en Bavière — ou
pour se plaindre de l'invasion des Juifs dans l'administration et les
bureaux. Hitler, qui admirait son adjudant Gutmann, qui avait vu
plusieurs Juifs mourir bravement au front, et tout autant de
Prussiens, ne supportait pas ces généralisations
hâtives et préférait quitter les discussions.
Il
s'était renfermé dans le silence et comptait
impatiemment les jours qui le séparaient des tranchées.
Il
en avait quand même profité pour faire visiter Munich à
son chien Foxl qui avait beaucoup aimé.
Restez,
sinon je hurle !
Sœur
Lucie, comme si elle n'avait rien entendu borda une troisième
fois le lit et tapota l'épaule d'Adolf.
Je
reviens dans une demi-heure.
Restez,
sinon je hurle !
Allons,
ne soyez pas
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