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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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enfant.
     Ah !
Ah !
    Adolf
n'avait pas besoin de se forcer pour crier; au contraire, il lui
suffisait de se laisser aller ; il avait mal, il avait peur. Il se
tordait dans son corps étroit, dans ce lit étroit, dans
cette chambre étroite, au fond de ce couloir étroit. Il
savait bien qu'il allait mourir.
     Ah !
Ah !
     Adolf,
arrêtez.
     Restez.
     Non.
Je dois...
     Ah !
Ah !
    Sœur
Lucie devint écarlate. Elle tira la chaise et s'assit, presque
boudeuse, auprès du malade. Adolf tenta de se contrôler,
parvint à se taire et lui sourit.
     Merci.
     Vous
devriez avoir honte : c'est du chantage.
     Oui,
oui, je vais mourir, mais avant il faut que j’aie honte.
     Adolf,
je n'ai pas dit cela.
     Que
je dois avoir honte ? Que je vais mourir ?
     Allons,
il faut prier.
    Adolf
fixa sœur Lucie, les yeux pleins de larmes.
     Mais
prier qui ? Prier quoi ?
    Soeur
Lucie eut alors un de ses sourires qui réchauffait les malades.
     Je vais
vous apprendre.
     Combien
d'heures me reste-t-il à vivre
?
     Je disais
que j'allais vous apprendre à prier.
     Combien
ai-je de temps pour apprendre ? Est-ce que ça suffira ?
     Vous
avez le temps.
     Je veux
savoir la vérité. Si vous me la dites, j'apprendrai à prier.
     Encore
du chantage ?
     Que
disent les médecins ?
     Ils
peuvent se tromper.
     Que
disent-ils lorsqu'ils se trompent ?
     Que
vous ne passerez sûrement pas la nuit.
    Elle
avait dit cela avec son assurance limpide. Adolf se sentit presque
rassuré. Il avait clairement identifié et localisé
l'ennemi : cette nuit.
     Sœur
Lucie, voulez-vous bien passer cette nuit avec moi ?
     Vous
n'êtes pas le seul...
     Voulez-vous
?
     Je
ne suis pas censée...
     Voulez-vous
?
     Dans
un sens, ce qui vous arrive est important.
     Voulez-vous
?
     Peut-être
pourrais-je vous apprendre à prier ?
     Voulez-vous
?
     Oui. ,
    Elle
avait rougi comme une jeune mariée. Saisissant ses deux mains
sur les draps, elle les serra avec force.
     Je
suis heureuse d'être auprès de vous.
     C'est
cela, la prière ?
     Oui.
Il faut se concentrer sur le bonheur. Ecarter l'obscurité et
trouver la lumière.
J'ai
mal. J'ai peur. Je ne vois rien.
Si.
Il y a toujours de la lumière. Qu'est-ce vous paraît un
bonheur dans cet instant ?
Vous.
Ah,
vous voyez. Et puis ?
Vous.
Vos mains. Votre sourire.
Vous
voyez. Il y a toujours de la lumière.
    «
Concentrez-vous sur moi puisque, ce soir, je suis votre lumière.
Sœur
Lucie, je ne crois pas en Dieu.
Ce
n'est pas grave. Il a tout prévu.
    Elle
se pencha tout près de lui.
Vous
sentez la force que je vous donne ?
Oui.
C'est
de l'amour.
    Adolf
se tut et s'emplit de l'énergie qui émanait de sœur
Lucie. Il avait l'impression d'être une fleur chauffée
par une lampe, il se sentait dangereusement faible et pourtant il se
disait que, peut-être, sous ce feu, il pourrait, s'il avait le
temps, se reconstituer un peu... mais aurait-il le temps ?
     Ne
réfléchissez pas. Ne fléchissez pas. Prenez
toute cette force sans réfléchir. Allez ! Prenez !
Prenez !
    Elle
avait dit cela d'un ton lourd, violent, comme une femme qui fait
l'amour. Adolf commença à se laisser pénétrer
par cette force.
     Allez
! Prenez ! Allez !
    Ce
n'était plus sœur Lucie, la légère sœur Lucie qui
voletait d'un lit à l'autre avec grâce, c'était
une femme tout entière occupée à sa tâche,
au travail qui épuisait ses chairs. Elle voulait mettre un
homme au monde.
     Il
faut prier maintenant.
     Demandez
à Dieu de vous donner la force.
     Pourquoi
trois ? On était bien tous les deux.
     Pas
de persiflage. Demandez à Dieu de vous donner la force de
passer cette nuit. Moi, de toute façon, je le fais.
    Adolf
commença à avoir une perception indistincte de la
chambre, de sœur Lucie, de lui. Etait-ce cet afflux de force
qui le troublait ? Ou bien était-il en train de mourir ainsi
que l'avaient prévu les médecins ? Sa conscience avait
des interruptions, elle trébuchait, elle glissait de ce
monde-ci dans d'autres plus anciens, plus familiers, ensuite elle se
ressaisissait, se rétablissait, puis rechutait. Adolf se
rendait compte qu'il ne vivait déjà plus qu'en
pointillé. Il profita d'un moment de conscience pour
s'accrocher à une bouée et se mit à prier :
     Mon
Dieu, donnez-moi la force. Je ne suis pas certain de croire en Vous,
surtout ce soir où ça m'arrangerait bien. Peut-être
justement parce que

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