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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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contemplait pensivement le soleil amorcer sa descente derrière
l'horizon. Il aimait le moment où la nature devient un artiste
inspiré, risquant des colorations
aberrantes, osant des ciels vert pomme orange, braise, risquant
toutes les teintes de son nuancier en l'espace d'une demi-heure.
     C'est
toujours ça, le problème de Dieu : faut-il l'appeler
Dieu ?
    Sœur
Lucie avait répondu avec énergie à Adolf, mais
elle savait très bien qu'il ne l'écoutait que par
politesse et qu'il ne réfléchissait qu'avec paresse,
trop occupé, comme chaque soir lors de leur ultime promenade,
à observer les enluminures du firmament. Pouvait-elle lui en
vouloir ? Il revenait de si loin. L'amour qu'elle portait à ce
blessé — dans le secret de son cœur, elle disait «
son » blessé — comportait toutes les indulgences.
     Ça
y est. Maintenant, il passe la terre à l'encre de Chine, dit
Adolf.
    Effectivement,
arbres, clôtures et maisons se contractaient en des danses
d'ombres chinoises. Un bleu fort et dru leur faisait un fond
opalescent. Comment définir ce bleu ? Un bleu Nattier ? Un
bleu de roi de France ? Curieux de penser cela, non ? Le ciel n'est
pas français mais ce bleu-là l'était. Un bleu
français du dix-septième ou du dix-huitième
siècle.
     Non,
ma sœur, je ne sais pas ce qui s'est passé cette
nuit-là. Oui, j'ai prié Dieu, comme vous me l'avez
demandé, mais n'était-ce pas un moyen de mobiliser
toutes mes forces pour lutter ? N'était-ce pas simplement une
révolte de toutes mes forces d'homme ? Une guerre contre la
mort menée par ma conscience et ma carcasse ?
     C'était
aussi cela.
     Et
vous voulez appeler ça Dieu ? Ce n'est peut-être
qu’humain. Rien qu'humain.
     Et
ma prière à moi
? En même temps que la vôtre ? Au-dessus de la vôtre
? I
Peut-être
y a-t-il une énergie vitale qui passe d’un corps à
l’autre ? Vous m'avez donné votre énergie
vitale.
     En somme,
vous cherchez à expliquer
cette nuit notre seule action, à vous
et à moi
?
     Oui,
ma sœur, je nous
vois comme un couple.
     Pas
de badinage. Je constate
juste que vous êtes un ingrat qui multiplie les peut-être,
les hypothèses et les explications
conditionnelles pour éviter de faire face à Dieu
et de manifester sa gratitude.
    La
sœur Lucie avait dit cela sans colère ni amer tume. Elle
était si persuadée que, durant cette nuit de fièvre, il
s'était produit un miracle qu'elle n'avait aucune impatience
qu'il le reconnût. Elle savait que la
vérité s 'imposerait,
mais qu'il fallait du temps à la vérité pour
faire son chemin dans un esprit aussi dur que celui d' Adolf
H.
     Cependant,
Adolf, si tout était effort humain pendant cette nuit, comment
expliquez-vous que cela ait réussi ? A ce compte-là, le
même désir de vivre et la même
énergie devraient l'emporter toutes les nuits dans tous les
lits de l'hôpital.
     Sœur
Lucie, vous appelez divin tout ce qui réus sit
et humain
tout ce qui rate.
    Elle
rit. Au fond, elle aimait cette résistance d'Adolf, cela
faisait la force inépuisable de leurs conversations.
Auraient-ils eu autant de choses à se dire s'ils avaient été
d'accord ?
     Vous
ne voulez pas croire en Dieu parce que vous êtes trop
orgueilleux pour éprouver de la reconnaissance.
     Orgueilleux,
moi ? Au contraire. Je ne pense pas lie je suis assez important pour
que Dieu se déplace.
     Tout
homme est également important aux yeux k Dieu. Il prend soin
de chacun.
     Ah,
oui ? Alors il devrait se rendre un peu plus souvent au front. Les
soldats agonisent pendant des jours parfois avant que la mort ou un
ambulancier ne les ramassent. Votre Dieu, sœur Lucie, j'ai du
mal à
y croire
pendant cette guerre. Je ne l'imaginais pas aussi amateur de carnage.
     Ce
sont les hommes qui se font la guerre entre eux. Rien qu'eux. N'allez
pas mêler Dieu à ça,
s’il vous plaît.
    Elle
avait raison, Adolf le savait et y pensait sans cesse. Les animaux se
mangent mais ils ne se font pas la guerre. Depuis le début du
conflit, il comptabilisait ce qui différenciait les hommes des
bêtes ; pour l'instant, il avait trouvé le tabac,
l'alcool et la guerre, Trois manières de se tuer plus vite. Au
fond, l'homme se distinguait de l’animal par une impatience de
la mort. Un jour, sœur Lucie lui avait rappelé l'autre
caractéristique humaine : le rire. Adolf, pour une fois,
s'était accordé avec elle. Seuls les hommes éprouvaient
cet irrésistible besoin de se moquer

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