La Part De L'Autre
pensée. L'ensemble formait une
virulente diatribe contre les Juifs que l'homme
détestait, qu'il accusait de tous les maux, qu'il voulait
éliminer de l'Allemagne.
Une
idée séduisit Karl Alexander von Müller. Le
stagiaire assurait que son antisémitisme, tout récent,
ne se fondait pas sur l'émotion, mais sur les faits ; du coup,
il distinguait un antisémitisme affectif, qui cond uit
aux pogroms et autres violences inefficaces, et
son antisémitisme à lui, l'antisémitisme
«rationnel », qui visait à éradiquer les
Juifs du territoire allemand. Avec lui, on se sentait autorisé
à être antisémite, cela devenait une attitude
objective, scientifique, moderne.
Soudain
Karl Alexander von Müller s'ébroua pour ligner ces idées
de lui : c'était absurde ! L'homme annonçait en fait
quelque chose de pire qu'un pogrom, il lançait un appel à
une violence inimaginable et même lui, Karl Alexander von
Müller, professeur d'université, avait failli se faire
piéger par cette rhétorique. « Décidément,
cet homme est remarquable. ».
Il
courut au bureau directorial, ramena le capitaine Mayr dans la salle
et le fit assister à la scène.
Formidable,
vous avez raison, ronronna Mayr.
Qui
est-ce ? dit Millier.
Le
caporal Hitler, du régiment List.
Mayr,
en connaisseur, admirait le travail, les yeux mi-clos, en gros chat
satisfait.
Il
a tout. Une
gueule. La véhémence. Nous allons
l 'utiliser.
Lorsque
le groupe se dissipa, ils allèrent trouver le caporal Hitler.
Vous êtes un orateur-né,
dit Mayr.
Moi
? Mais...
Hitler faillit
protester, rappeler qu'il n'avait jamais été
capable de
parler en public puis il se retint, se souvenant au
dernier moment que sa pitance dépen dait
de son
engagement.
Bravo,
ajouta Karl Alexander von Müller. Maîtrise du discours.
Rupture des rythmes. Echauffement. Fougue. Partage des émotions.
Vous avez déjà un métier extraordinaire.
Hitler
faillit encore se récrier en précisant qu'il était j uste intervenu
spontanément lorsqu'un des élèves, à la
sortie du cours, avait pris la défense d'un Juif et que ça,
non, il ne pouvait pas le supporter.
Nous
vous engageons comme officier instructeur pour rééduquer
moralement l’armée. Vous commencez la semaine prochaine.
Félicitations.
Félicitations.
Ils
lui serrèrent la main et s'éloignent.
Hitler
les regarda partir, le cœur battant. Ainsi, il avait finalement
raison ! Il avait toujours pensé qu’il savait parler,
qu'il pouvait faire partager ses convictions aux foules, mais quelque
chose, jusqu’ici, l’avait empêché
d'accéder à
lui-même, quelque le grippait, le retenait, le rendait ridicule
et peu convaincant. Aujourd'hui, la résistance avait sauté.
Il avait exprimé son horreur des Juifs et sa soif de vengeance
après cette défaite humiliante. Aujourd'hui, il était
enfin devenu l'homme qu'il pensait être. La haine lui avait donné le
don de l'éloquence.
LE
DICTATEUR VIERGE
Je
démissionne.
Vous
êtes allés contre les vœux des militants en
remettant le destin du parti ouvrier national-socialiste à un
homme dont les idées sont incompatibles. Je ne saurais plus
longtemps appartenir à un pareil mouvement. Mon départ
est irrévocable.
ADOLF
HITLER
Les
hommes du comité se dévisagèrent avec lassitude.
Ça
y est : la prima donna a une nouvelle crise de nerfs.
La
diva Hitler nous épuise.
Combien
de fois a-t-il démissionné déjà ?
Et
puis tant pis, qu'il s'en aille ! Le Parti a existé sans lui.
Il existera après lui.
Un
silence dubitatif suivit cette remarque. Chacun essayait de se
convaincre que cela pouvait être vrai. Quel autre tribun
avaient-ils ? Qui saurait transformer la moindre réunion
publique en spectacle de cirque exaltant ? Qui pourrait
déclencher des acclamations sans fin ? Qui pourrait
déclencher des acclamations sans fin ? Qui provoquerait
spontanément des adhésions ? Qui débloquerait
les fonds ? Qui allait-on afficher pour appâter le
public ?
Je
sais ce que vous pensez mais n’exagérez pas son
importance. Hitler n'était qu'un tambour.
Oui,
mais quel tambour ! Nous n'en avons pas de meilleur.
On
ne va pourtant pas donner la direction Parti à un tambour.
Je
vous signale que nous l'avons déjà fait. Non la lui
avons proposée deux fois.
Et,
chaque fois, il l'a refusée.
Pourquoi
?
Pourquoi
quoi ? Pourquoi la lui avons-nous proposée ? Ou pourquoi
l'a-t-il
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