La Part De L'Autre
rassit, mortifié. Avait-il perdu son don ? Le lendemain,
inquiet, il s'était agrippé à un prétexte
futile lors d'une réunion du comité pour prendre la
parole et se lancer dans une longue diatribe. Ouf, tout était
revenu. Il ne s'était agi que d'une panne momentanée.
La
seconde fois lui permit de comprendre ce qui se passait. On lui avait
demandé de prononcer un éloge funèbre ; le mort
était une brave personne dont il n'y avait à dire que
du bien, ce qui rendit Hitler une nouvelle fois muet ; il feignit
d'avoir un malaise pour échapper à sa tâche.
Ainsi son don demandait des émotions agressives pour pouvoir
se déployer.
La
seconde fois lui permit de comprendre ce qui se passait. On lui avait
demandé de prononcer un éloge funèbre ; le
mort était une brave personne dont il n’y avait à
dire que du bien, ce qui rendit Hitler une nouvelle fois muet ;
il feignit d’avoir un malaise pour échapper à sa
tâche. Ainsi son don demandait des émotions agressives
pour pouvoir se déployer.
Hitler,
quoique sanguin, s'était très froidement observé.
A travers ses expériences, il avait compris comment se
déployait son charisme : gratter les rancœurs, enlever
les croûtes, aviver les cicatrices, bien faire saigner pour
ensuite proposer des solutions très élémentaires,
la simplicité de la solution devant être proportionnelle
à la douleur provoquée. Il ne fallait pas raffiner.
Il fallait désigner. Montrer du doigt les boucs émissaires
: le Juif, la France, la Grande-Bretagne, la république, le
bolchevisme. On pouvait parfois assimiler les boucs émissaires
afin d'obtenir plus d'effet : ainsi le Juif et le bolchevique,
confondus en judéo-bolchevique, assuraient une superbe
acclamation finale, le bouquet étant obtenu par l'amalgame
Juif-bolchevique-républicain. Bien sûr, au dernier
moment, il fallait substituer à ces haines une valeur
flamboyante afin que les participants puissent se sentir investis et
répandre un discours optimiste à l'extérieur ;
Hitler revenait alors à l'Allemagne, ce par quoi il avait
commencé son discours, ce par quoi il le concluait, donnant
ainsi l'impression de n'avoir pas parlé d'autre chose.
Heil
Hitler ! Hourra
! Il quitta la tribune avant la décrue des applaudissements,
enfila son imperméable en se laissant congratuler par quelques
subalternes, emprunta rapidement la sortie des artistes, s'engouffra
dans la voiture et fit signe au chauffeur de démarrer,
D'un
air distrait, il regardait Munich en se demandant si la salle battait
encore des mains en espérant son retour sur la scène.
Il soupira avec mélancolie. Il valait toujours mieux
s'éclipser en laissant les auditoires sur leur faim, c'était
le principe même de la séduction. Ses retards et ses
départs précipités faisaient autant pour sa
légende que ses discours.
Paul,
nous allons chez madame Hofmann.
Il
avait droit à un peu de repos après l'agitation de ces
derniers jours. Une nouvelle fois il venait de recevoir la preuve que
la Providence s'occupait de lui. Les événements avaient
tourné en sa faveur ; ses colères, ses bouderies, sa
démission lui avaient valu la présidence du Parti avec
tous les pouvoirs. Certes, il l’avait souhaité mais
il ne l'avait pas calculé ;
il avait plutôt agi par dépit, risquant le tout pour le
tout. Ses ennemis allaient croire qu'il était un stratège
hors pair. Il savait désormais que, quoi qu'il arrivât,
il devrait suivre ses impulsions, fussent-elles dangereuses Quelque
chose dans le ciel le récompensait et confirmait son statut de
fils préféré.
Les
pneus firent gémir le gravier. Hitler alla sonner à la
vaste maison bourgeoise aux fenêtres garnies militairement
de fleurs en pots.
Dolphi
! Je n'osais pas y croire !
Hitler
fit un baisemain à Carola Hofmann, tâche dangereuse car
il fallait viser adroitement le seul espace de peau qui ne fût
pas hérissé de bagues coupantes ou de bracelets trop
lâches et trop lourds.
J'ai
préparé des gâteaux.
Carola
Hofmann cliquetait et rayonnait en regardant son protégé.
Depuis qu'il faisait de la politique, Hitler avait plusieurs «
mères », des dames mûres qui l'admiraient et le
soutenaient financièrement, émues par le contraste
entre l'orateur puissant et l'homme privé timide, maladroit,
d'une politesse empruntée pleine de ronds de jambe à la
viennoise. Chacune s'imaginait le troubler et considérait cet
homme jeune et prometteur comme un chaste amant
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