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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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inscrit : SE SOUVENIR TOUJOURS. Et
nous partons ce soir avec une tout autre devise : oublier
à jamais.
    Votre

    ADOLF
H.

    Revenant
guéri de Pasewalk, Hitler retrouva sa caserne dirigée
par des conseils ouvriers. La Bavière avait voulu faire sa
révolution sur le modèle de Moscou. A la tête de
Munich la Rouge se trouvait Eisner, un socialiste, journaliste,
d'origine juive. Assassiné au bout de quelques mois par un
jeune aristocrate, il laissa le pays sombrer dans le chaos et
l'anarchie. Au printemps,
les troupes
contre-révolutionnaires de la Reichswehr et des corps francs
étaient venues rétablir l'ordre, punissant les
principaux responsables par la mort et condamnant les autres à soixante
ans de prison.
    Hitler avait
flotté au gré des événements, habité par une
seule obsession : tout faire pour rester dans l’armée.
Ainsi avait-il été rouge puis blanc, révolutionnaire
puis contre-révolutionnaire, avec un opportunisme cohérent.
Sa survie avait été difficile. Deux ou trois fois, on
l'avait obligé à prendre la parole publiquement et à
galvaniser les troupes : il avait dû défendre les idées
sociales-démocrates et, à son habitude, il n'était
pas parvenu à retenir l'attention des auditeurs, se faisant
rapidement bousculer hors de l'estrade, humilié. Et voici
qu'après le retour de la droite, la seule occasion de rester
dans l'armée était de devenir « agent de
propagande ». Il s'était inscrit, la mort dans
l'âme, n'ayant le choix qu'entre ça ou la
démobilisation, c'est-à-dire la rue.
    Après
cet épisode rouge, l'armée, en la personne du capitaine
Mayr, s'était en effet assigné comme priorité de
rééduquer ses troupes, de leur enseigner une pensée
correcte : le nationalisme et l'antibolchevisme. Le capitaine Mayr
avait réquisitionné des locaux à l'université
de Munich et tentait de former des personnalités capables
d'endoctriner ensuite les autres. Pour l'heure, il leur faisait
suivre des cours d'histoire politique et d'histoire économique.
    Tout
était parti d'un simple incident.
    L'historien
Karl Alexander von Müller, un homme à la maigreur et à
la barbe tout aussi aristocratiques que son nom, ramassait ses
dossiers à l'issue de son cours et s'apprêtait à
quitter l'amphithéâtre quand il remarqua une animation
inhabituelle.
    Un
groupe s'était formé autour d'un des élèves,
un des plus âgés, maigre et insignifiant, dont Müller
ne se rappelait pas le nom, mais qui le frappait toujours Par sa tête
de pauvre chien perdu, fatigué, prêt à suivre le
premier maître qui lui promettrait une écuelle.
    L'homme
était subitement transformé. D'une voix basse et
gutturale, il parlait, s'indignait, et tout le monde écoutait.
Karl Alexander von Müller s'approcha. Sans s'en rendre compte,
il écouta aussi.
    L’homme
montrait un don étrange, celui de l'auditoire à lui
prêter l'oreille et à partager ses émotions. Il
venait de subir une véritable métamorphose. Ses yeux
bleu délavé de timide, d'habitude baissés,
s'ouvraient, ils devenaient bleu mystique, ils semblaient déchiffrer
au loin, dans l'horizon, des vérités qu'eux seuls
percevaient et que la voix délivrait ensuite avec force.
L'homme parlait comme un prophète, un inspiré. Il
semblait contraint, malgré sa lassitude, de dire ce qu'il
avait à dire, contraint par l'honnêteté, dévoué,
alors qu'il aurait préféré se taire. Son corps
souffrait, déchiré, emporté, secoué par
la violence des révélations qui le traversaient ; il
devenait un corps de saint, un corps stigmatisé. La gorge
aussi donnait l'impression qu'elle ne parviendrait pas au bout du
message qu'elle avait à délivrer.
Quelle meilleure preuve de bonne foi ? pensa Karl Alexander von
Müller en expert. Comment mieux convaincre qu'on a raison sinon
en montrant qu'on est en train de mourir pour sa vérité
? L'orateur avait quelque chose d'un martyr. Il brûlait. Il se
consumait pour témoigner. Et pourtant, il y avait une énergie
continue, fusante, crépitante qui irradiait de lui ; il
semblait même que cette énergie augmentait au fur et à
mesure qu'il parlait. Puis que cette énergie se transmettait à l'assistance.
    Karl
Alexander von Müller se surprit à approuver l'homme en
même temps que les autres. Il en rit intérieurement. «
Voilà un véritable orateur populaire. »
    Puis,
il subit la contagion, perdit sa distance critique, et se mit à
opiner de la tête chaque fois que l'homme
martelait une nouvelle

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