La Part De L'Autre
refusée ?
De
nouveau, le silence s'installa. Hitler avait décliné la
direction du Parti sous prétexte qu'il n'avait aucun don pour
l'organisation. Le comité avait trouvé cette attitude
honnête. Il se demandait maintenant si Hitler n'avait pas agi
ainsi pour obtenir davantage.
Il
est fou. Se rend-il compte de ce qu'il risque si nous acceptons sa
démission ?
Mais
nous l'acceptons.
Taisez-vous
! Il va se retrouver seul et être obligé de fonder un
nouveau parti.
Et
alors ? C'est son problème.
Comme
d'habitude, il joue le tout ou rien. Pas de compromis.
Nous
non plus, nous ne ferons pas de compromis. Qu'il parte. Bon débarras.
Adieu.
Certes,
mais imaginez qu'il crée son mouvement. Il va réussir.
La majorité de nos militants vont le suivre. Surtout s'il joue
les martyrs, ce qu'il joue très bien...
Et
alors ! Qu'est-ce que vous proposez ? On ne va quand même pas
se coucher devant lui !
Quelques
jours plus tard, le 29 juillet 1921, Hitler devenait le chef unique
du parti national-socialiste.
Il
regardait la foule qui l'acclamait, debout, il s'offrait tout entier
à ses cris, à son hystérie, à ses
caresses. Il songeait au chemin parcouru en trois ans, depuis son
statut de propagandiste dans l'armée jusqu'à celui de
tribun politique, depuis ce groupuscule qui se réunissait dans
les arrière-salles lugubres des cafés, sans cartes, ni
tampons, ni imprimés, ni affiches, ce groupuscule au
fonctionnement démocratique comportait alors autant de membres
du comité que de militants, jusqu'à cette foule qui le
plébiscitait, lui reconnaissait la stature de chef, encadrée
par un service d'ordre aussi musclé qu'armé, et qui
portait haut ses bannières. Hitler était
particulièrement fier de l'insigne nazi, son ultime tentation
artistique : le svastika noir ressortant sur un cercle blanc, entouré
d'un fond rouge afin d'attirer les gens de gauche.
Heil
Hitler ! Vive
notre chef !
Il
savait tout le mal que les politiciens et les journalistes disaient
de lui : un agitateur, une tête brûlée, une
éphémère célébrité
provinciale, un caporal grossier qui n'a en rien la stature d'un chef
d'Etat. Lui qui était si prompt à insulter les
chanceliers et les ministres, lui dont la langue vipérine
tuait plusieurs personnalités officielles par discours, il
avait d'abord très mal supporté d'être traité
de même. Les critiques avaient blessé la chair de son
ego nouveau-né mais déjà démesuré.
Il avait trouvé incongru que les «hommes sérieux
» ne s'aplatissent pas devant lui en même temps que les
foules, injuste que les quolibets soient proportionnels au succès.
Puis il avait saisi ce qu'il pourrait tirer d'être ainsi
dévalorisé : si on ne le voyait pas venir, on ne se
méfierait pas assez de lui. Les
centristes et la droite traditionnelle croient s'être
débarrassés de moi en me traitant de fanatique ; mais
je ne suis pas fanatique ; en revanche, c'est mon intérêt
qu'ils le croient. Les cadres de notre mouvement me trouvent mou et
hésitant devant certaines décisions ; c'est ce qui
me permet de les jouer les uns contre les autres sans qu'ils s'en
aperçoivent. Toutes ces baudruches sont tellement persuadées
de leur importance qu'elles n'imaginent pas une seconde que les
manœuvre comme des marionnettes. Je sais par quelles viles
passions elles sont toutes agitées. Viser bas, c'est viser
juste.
Hitler
avait aussi compris quelque chose qu'il ne dirait jamais à
personne : il ne s'adressait qu'aux sentiments négatifs des
foules. Il réveillait leur colère, leur haine, leur
rancœur, leurs déceptions, leurs humiliations. C'était
facile, il les trouvait d'abord en lui. Les gens l'idolâtraient
parce qu'il s'exprimait avec le cœur, mais ils n'avaient pas
repéré qu'il s'agissait seulement de la face noire du
coeur.
Ce
secret, Hitler l'avait découvert presque à ses dépens.
La
première fois, il s'agissait de célébrer l'union
de deux jeunes gens heureux. Hitler n'avait rien préparé,
comptant, à son habitude, sur le feu de l'improvisation ; il
avait levé son verre au-dessus de la table des noces et
commencé à balbutier. Comme il se savait lent à
s'échauffer, il ne s'était pas inquiété.
Mais après quelques minutes, rien ne vint sinon une gêne
engourdissante doublée d'un sentiment d'imposture. Il s'en
tira en entonnant une chanson viennoise qu'il parvint, avec
difficulté, à faire reprendre aux convives déçus.
Il se
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