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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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caméra. Un assistant portait de lourdes bobines. L’opération compliquée monopolisa l’attention et l’espace. C’était si nouveau ! Ce média fascinait les journalistes. Verre à la main, oubliant l’Algérie, certains s’approchèrent. L’équipe venait filmer l’ambiance de nuit et s’attardait sur les vedettes et personnes connues comme Juliette Gréco qui discutait avec Marcel Achard.
    Sophie, un moment distraite, regarda dehors. Béatrice riait. Son étole de vison glissait de ses épaules et, entre deux verres de Champagne, elle portait à sa bouche un long fume-cigarette qu’elle avait emprunté à une autre jeune femme, elle aussi en pleine euphorie. Le photographe et un autre invité, l’air hébété, tentaient en vain tour à tour de rajuster son étole, mais ils avaient du mal à se tenir droits et n’y parvenaient pas. Bien qu’en pleine nuit, le photographe portait des lunettes noires à la mode italienne qu’il n’avait pas cru bon d’enlever. Une mèche tombait sur son front et il la remettait en place d’un mouvement de tête. Mais elle retombait aussitôt. Il riait bouche ouverte et les autres en faisaient autant, apparemment conquis par la moindre de ses initiatives. Sophie ne comprenait pas le plaisir que Béatrice prenait à cette compagnie stupide.
    L’Académicien était resté, comme Sophie, assis dans son fauteuil. Il observait les fêtards d’un oeil sombre et, soudain, il se pencha vers le confrère d’un grand hebdomadaire :
    — Vous devriez dire à votre photographe de cesser, ce n’est pas une façon de se comporter pour un professionnel d’un grand journal comme le vôtre. Et, par pitié, qu’il enlève ses lunettes noires en pleine nuit !
    — Mais dites-le-lui vous-même, cher ami, répondit le confrère, surpris. Qu’est-ce qu’il a fait qui vous dérange à ce point ?
    — On ne se tient pas de cette façon un soir comme celui-ci.
    — Et comment faudrait-il se tenir ? Raides comme des balais ? Moi, je ne vois rien de mal à boire un peu de Champagne, justement « un soir comme celui-ci », comme vous dites. C’est le moment ou jamais, au contraire.
    Un autre confrère en rajouta :
    — Allons, l’Académicien, soyez un peu indulgent. Après tout il n’y a qu’une bonne cuite, quelques verres cassés et des bouteilles vides par-dessus bord. Rien de grave ! Ils ont trop bu, et alors ? Ils cassent des verres, et alors ? On n’est pas en panne de verres sur ce bateau. « 36 700 verres ! » vous m’entendez, il y a à bord « 36 700 » verres. Il y a de la marge. Et puis c’est le premier soir, on est tous un peu gris, normal non ?
    L’Académicien n’insista pas. Il n’avait plus le goût de la polémique.
    L’équipe de télévision avait terminé son interview et les notes enlevées de Love in the Afiernoon succédèrent à Summertime. Les journalistes en profitèrent pour passer à autre chose. La musique du film de Billy Wilder tombait bien. Aucun d’eux ne souhaitait poursuivre la discussion sur l’Algérie et tous avaient grande envie de faire la fête. L’un entonna sur la musique les paroles françaises de la reprise d’Yves Montand qui était en plein succès.
    C’est si booon,
De partir n’importe oooù
Bras dessus bras dessooous
En chantant des chansooons
C’est si boooonnnn...
    Les autres reprirent en choeur les célèbres couplets et le barman monta astucieusement la sono. Bientôt tous les clients du bar chantèrent de plus en plus fort et, au moment du refrain, un cri sortit de toutes les gorges en même temps : « C’est si booooon » ! On aurait dit que tous n’attendaient que de pouvoir hurler ensemble le célèbre refrain. Un Américain, Marvin Buttles, Chantait à tue-tête. Avec sa femme et des amis, ils jouaient le jeu, enthousiastes. Ils adoraient cette ambiance festive, typique à leurs yeux de la France brouillonne et excessive qu’ils aimaient.
    — Faites comme nous, mon ami, suggéra Marvin à l’Académicien qu’il voyait renfrogné dans son fauteuil, reprenez un peu de Champagne. À quoi serviraient tous vos grands vignobles français réputés dans le monde entier si on ne buvait pas leur vin des soirs comme ce soir. Allez ! ajouta-t-il en lui tendant un verre bien rempli, assez discuté de choses sérieuses. Ce n’est ni le lieu ni le jour. Les plus raisonnables ce sont eux, dehors, qui ont bien raison de faire la fête et de s’étourdir. On ne va pas refaire le monde

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