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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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cuisines et les filles de salle corrigeaient les bouquets, remettant çà et là des glaïeuls de couleur. Au milieu de cette activité frénétique, les premiers passagers tôt levés et soucieux de leur forme pratiquaient des sports matinaux. Piscine, gymnastique en salle sur des appareils dernier cri, petit footing sur les ponts de l’avant à l’arrière, de tribord à bâbord, ils utilisaient l’espace en tous sens. D’autres les croisaient, plus calmes, sillonnant eux aussi le navire, curieux de tout visiter. Élégants et joyeux, ils se pressaient d’un pont à un autre, admiratifs de tout ce qu’ils découvraient. Ils affichaient des sourires éblouis.
    Accoudée au pont supérieur, face à l’océan qui lui envoyait au visage des embruns glacés, Sophie avait oublié les ennuis et se sentait l’esprit conquérant. Elle allait vers l’Amérique dans le paquebot le plus grand, le plus beau et le plus admiré du monde. La France rayonnait de ses succès. L’économie, l’industrie, le commerce, le bâtiment, la mode, l’art, tout fonctionnait à plein régime. Sur le France, on commençait à passer d’une classe à l’autre dans les deux sens sans trop se préoccuper des barrières sociales et on adorait ça. La civilisation allait atteindre sa pierre de touche. Enfin.

 
    24
    Pendant ce temps, dans un bureau situé au niveau du grand hall, l’état-major réglait le problème de la nuit :
    — Ils ne diront rien.
    Le commissaire principal et le responsable syndical, Francis, échangeaient leurs conclusions sur l’affaire. Un tel échange entre eux était exceptionnel, mais il y allait de la réputation du France et Francis ne transigeait pas.
    Le malade était sorti d’affaire et avait pu s’expliquer, il avait parlé d’un homme en bleu de travail qui courait dans la coursive, qui hurlait et qui était en sang. Version confirmée par d’autres passagers qui s’étaient plaints d’avoir eux aussi entendu des cris mais qui n’avaient pas osé sortir de leur cabine. Le service de nettoyage avait passé le reste de la nuit à essayer de faire disparaître le sang qui avait taché la moquette, et le passager, bien que guéri, était toujours en salle de soins. Ce qui s’était passé était inadmissible. Francis et le commissaire de bord étaient d’accord. Aucun des professionnels sur ce navire n’avait le droit de faire une chose pareille.
    — Qu’il aille sur des cargos s’il veut pouvoir disjoncter, avait dit Francis juste l’instant d’avant aux gars de la bordée qu’il avait rassemblés. Là, il trouvera des batailleurs, des hommes comme lui. Il n’a rien à faire sur le France ! Bon sang de bon sang, sur ce bateau on doit être irréprochables, tous !
    Mais il avait parlé dans le vide. Personne n’avait dénoncé personne. Des dix de la bordée, pas un n’avait cillé.
    — Vous avez bien dû voir si l’un était blessé, insista le commissaire. Le sang qui est sur la moquette vient bien de quelque part.
    — Ils sont tous blessés.
    Le commissaire eut du mal à se contenir.
    — Comment ça, ils sont tous blessés ?
    — Ils racontent qu’à la manoeuvre ils ont été bousculés et qu’ils sont tombés contre les machines. Ils n’y ont pas été de main morte. Ce sont des durs, et ils sont soudés. Ils vont régler ça entre eux.
    Le commissaire était exaspéré mais il essayait de réfléchir calmement. Il avait derrière lui des années de métier, à dénouer des situations compliquées, et il évaluait la difficulté de cette affaire. A priori, rien de grave, mais c’était très sérieux, car il y en allait de la cohésion de l’équipage. Pour une fois le syndicat était du même avis, mais Francis n’avait pas pu avoir la moindre information sur ce qui s’était réellement passé. C’était mauvais signe pour la suite. La sélection des hommes pour intégrer le France avait été draconienne. C’était l’élite, les meilleurs dans leur domaine. Le syndicat et eux étaient d’accord, tous les membres embarqués étaient professionnellement et humainement extrêmement fiables. Ce dérapage l’inquiétait, et le silence des dix de la bordée encore plus.
    — On fait peut-être une grossière erreur en s’attardant sur un seul homme. S’ils sont tous blessés, c’est peut-être qu’il y a eu une bagarre générale. Peut-être qu’ils ont abusé du Champagne hier soir ?
    — Une bagarre ! Non, c’est impossible, dit Francis,

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