La passagère du France
très déstabilisant pour ceux qui se frottaient à lui.
— On reprend le quart en soirée, dit-il posément, ignorant la remarque. Le temps passe et il nous faut y aller. Que voulais-tu ?
C’en était trop. Devant Gérard, et dans son propre bureau, Francis ne pouvait se laisser traiter ainsi. Le délégué, c’était lui, et celui qui posait les questions, c’était encore lui. Il se leva et vint se poster face à Andrei.
— Écoute-moi bien, dit-il de cette voix acide qui lui était si particulière, ce n’est pas toi qui as en charge la marche de ce navire. Et la seule loi qui compte ici, ce n’est ni la tienne, ni la mienne, ni celle de quiconque. C’est celle du France et tu t’y plieras, comme nous tous.
— C’est ce que je fais. Nous nous plions tous à la loi du France.
La réponse était sans ambiguïté et elle sonnait juste. Déstabilisé, Francis s’énerva :
— Alors, pour le bien du France, tu restes à ta place, aux machines, et bien content d’y être. Autant que tu le saches et que ce soit clair entre nous, sans Gérard tu ne serais pas là. Moi, je ne voulais pas qu’on t’embauche.
— Écoute Francis, intervint Gérard. Pour Andrei, tu te trompes. C’est vrai ce qu’il dit, pour nous tous à la bordée la seule chose qui compte c’est de faire un boulot impeccable aux machines. Et je peux te dire qu’Andrei assure, plus qu’aucun autre.
Francis comprit qu’il ne pourrait rien en tirer. Il bougonna et les laissa repartir, non sans jeter à l’impassible Andrei un oeil noir plein de menaces. Ce dernier avait un charisme évident et Francis ne pouvait supporter l’idée que les hommes le couvrent. Plus que jamais il fut certain qu’il avait quelque chose à voir avec l’accident et il se jura de tirer l’affaire au clair. Mais, pour l’heure, pas question de créer des polémiques. Francis aussi aimait le France.
Claudine l’observait du coin de l’oeil.
— Tu ne devrais pas te mettre dans cet état pour si peu, dit-elle. Laisse tomber cette affaire, d’ici demain personne n’y pensera plus. Le malade sera guéri et le commissaire aura d’autres chats à fouetter.
Elle ne comprenait pas pourquoi Francis faisait toutes ces histoires pour un malheureux incident qui n’avait tué personne. En revanche, elle avait vu son oeil noir sur Andrei et savait pourquoi il ne l’aimait pas. A la pause du déjeuner, elle s’empressa d’aller tout raconter à son amie Michèle du pressing :
— Si Francis avait pu, il aurait envoyé son poing dans la figure d’Andrei. Il y a longtemps qu’il attend ça.
— Et pourquoi ? Qu’a-t-il contre lui ?
— Tu ne sais pas ? Tu n’es pas au courant ?
— Au courant de quoi ? fit Michèle, surprise que quelque potin ait pu lui échapper.
— Il est jaloux !
— Jaloux ? Mais de qui ?
— Francis est jaloux d’Andrei.
Michèle leva les yeux au ciel comme si elle venait d’entendre une énormité.
— Et pourquoi serait-il jaloux d’Andrei qu’on n’entend jamais nulle part ?
Un bon sauté fumant venait d’être servi et Claudine se dépêcha d’en remplir son assiette ainsi que celle de Michèle. Puis quand elle fut sûre d’avoir sa part, elle retourna à son affaire :
— Il est jaloux à cause de Chantal, lâcha-t-elle d’un air de conspiratrice tout en reposant le plat au centre de la table.
— Chantal ?
— Oui. C’est à cause d’elle que Francis ne peut pas voir Andrei. Il est jaloux parce que Chantal est amoureuse du Russe.
Michèle en avala de travers la fourchette de sauté brûlant qu’elle venait d’enfourner, et faillit s’étouffer.
— Ça alors ! dit-elle en se raclant la gorge et en portant sa main grassouillette à son cou. Et c’est ça, ton secret ? Eh ben, ma pauvre Claudine, tu es loin du compte. Chantal, elle ne peut pas le voir, Andrei. J’en sais quelque chose. Elle ne peut même pas supporter sa présence.
Claudine n’y comprenait plus rien. Tout en tapant énergiquement sur le dos de Michèle pour l’aider à faire passer le sauté dans le bon conduit, elle ouvrait de gros yeux ronds.
— Ah bon ? Mais une fois je les ai entendus s’engueuler à ce sujet, elle et Francis. Ils étaient dans le bureau et je les ai écoutés, derrière la porte.
Michèle se redressa en repoussant Claudine qui cessa de taper, elle respirait à nouveau. L’indiscrétion de la secrétaire ne la dérangeait pas le moins du monde. Elle aussi était
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