La Perle de l'empereur
tour, mais, à la surprise d’Adalbert, éteignit ses phares :
— Vous allez nous perdre…
— Aucun danger ! Il suffit de ne pas quitter de vue son feu arrière, et puis moi je suis comme les chats : j’y vois très bien la nuit !
— Un talent précieux, apprécia Adalbert en se rejetant dans le siège.
On traversa ainsi le Bois sur toute sa largeur pour rejoindre à Boulogne le quai de la Seine que l’on suivit jusqu’au pont de Saint-Cloud et même au-delà, car on s’engagea dans la rue Dailly, qui escaladait en forte pente le coteau en formant, à mi hauteur, un grand virage. Or, quand le taxi atteignit ce virage, force lui fut de constater que le véhicule avait complètement disparu. Karloff s’arrêta à raser un mur et descendit, suivi d’Adalbert, pour examiner les alentours et l’entrée des différentes artères dont les unes montaient vers l’église et les autres se dirigeaient vers Suresnes, mais l’œil rouge du feu arrière ne brillait nulle part.
— Eh bien, on l’a perdu ! soupira Adalbert en s’asseyant sur le marchepied du taxi. Au point où nous en sommes, il faudrait fouiller tout Saint-Cloud !
— Et là, j’avoue que je ne connais pas !
— Moi si ! J’ai une maison, dans ce coin, un peu plus bas.
— Une maison ? On pourrait peut-être y aller ?
— Pour quoi faire ? bougonna l’archéologue, l’œil désabusé. Elle est vide comme ma main ! J’ai été cambriolé…
— Ça c’est triste ! Et ils ne vous ont rien laissé ? Pas même une bouteille de vin ? déplora Karloff en venant s’asseoir près de son client qui lui offrit un nouveau cigare en guise de compensation.
— Pas même, non ! Mais vous savez, je n’y venais pas souvent. Elle me servait plutôt… d’entrepôt. Je suis archéologue et tout ce que j’ai pu rapporter de mes campagnes n’entrait pas dans mon appartement de la rue Jouffroy !
Les deux hommes fumèrent un moment silence, attendant Dieu sait quoi peut-être que l’automobile reparaisse…
— Dites donc ! reprit Vidal-Pellicorne. Il y quelque chose que je m’explique pas.
— Quoi ?
— Le mal que se donnent ces gens pour ramener chez elle cette petite théâtreuse de rien du tout…
— Mais qui s’appelle Marie Raspoutine et dont le prince Morosini, vous et moi savons qu’elle est plus ou moins à la dévotion de Napoléon VI. Seule la police l’ignore parce que Morosini est un vrai gentleman et, selon moi, ce qu’ils voulaient éviter c’est ce qui allait se produire ce soir : qu’un admirateur l’approche, lui fasse du plat, l’emmène souper, par exemple, et avec quelques verres de champagne lui tire les vers du nez. Alors ils ont fabriqué la légende d’un riche protecteur qui vient la chercher tous les soirs pour l’emmener finir la nuit ailleurs, mais qui en fait la ramène chez elle entre un quart d’heure et une demi-heure plus tard…
— …Et le protecteur qui n’est peut-être pas riche reste avec elle pour une surveillance rapprochée tandis que la voiture, un peu trop « chic » pour le quartier, s’en va remiser à Saint-Cloud ? compléta Adalbert. Ça me paraît un peu compliqué. Ce serait évidemment plus simple d’installer M me Raspoutine dans un meilleur quartier et de lui faire avoir un engagement dans un beau music-hall ?
— Plus simple mais sûrement plus cher. Or je ne suis pas certain que votre Napoléon roule sur l’or. Quelque chose me dit qu’il a de gros besoins d’argent. Au fait, est-ce que je vous ai dit que la voiture qu’on vient de suivre est la même que celle de Saint-Ouen ? Avec un autre numéro…
— Non, vous ne me l’avez pas dit, mais au fond ça ne nous avance guère… sinon à nous prouver que les protecteurs de Marie sont bien les assassins du tzigane.
Karloff fuma un moment sans rien dire, uniquement attentif au plaisir d’un tabac de luxe. Puis, se levant :
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
— Je ne vois pas ce qu’on pourrait faire d’autre que rentrer. Si vous voulez bien me ramener chez moi ?
— Bien sûr ! Cependant, si j’étais vous et que j’aie ici une maison, même vide, je crois que j’y ferais un petit séjour. Ne serait-ce que pour observer les environs.
— J’y pensais, mais ça ne peut pas se faire cette nuit. Cependant, à y réfléchir, il me vient une autre idée. Pour laquelle j’aurai besoin de vous.
— Dites toujours…
— Au lieu de pister la
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