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La Perle de l'empereur

La Perle de l'empereur

Titel: La Perle de l'empereur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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Folies-Rochechouart, s’il n’égalait pas les établissements cossus évoqués par Théobald, n’en offrait pas moins des spectacles honnêtes plus à la portée des bourses modestes, mais où il n’était pas rare de voir s’aventurer des fêtards élégants et argentés, surtout depuis que le nom de Marie Raspoutine s’étalait sur les affiches. C’était le cas ce soir-là et les habitués ne prêtèrent pas plus d’attention au smoking d’Adalbert qu’à celui des autres.
    Sachant que la jeune femme – vedettariat oblige ! – passait en seconde partie du spectacle, Adalbert arriva à l’entracte et réussit à trouver une bonne place dans les premiers rangs d’orchestre. Ce qui lui permit d’apprécier en connaisseur les jambes de Marie lorsqu’elle apparut pour son numéro. Elle portait un costume plus ou moins traditionnel : foulard bariolé de paysanne, robe de plusieurs tons de rouge, bottes bleu azur et, sur la tête le fameux « kokochnik », ce diadème qui ressemble à un éventail déployé, scintillant de pierreries et de perles fausses.
    En dépit des longues jambes et de la silhouette agréable, Adalbert ne la trouva pas belle : le maquillage trop poussé accentuait la lourdeur des traits. Elle chanta et dansa pas plus mal qu’une autre, mais pas mieux non plus, ne justifiant guère le tonnerre d’applaudissements qu’elle recueillit et qui s’adressait surtout à ce qu’elle représentait pour ces gens : le symbole d’une Russie décadente, fastueuse et perverse. Leurs yeux voyaient à travers elle l’ombre sulfureuse de son père, le paysan de Sibérie qui avait fait son jouet d’une orgueilleuse tsarine que doublait, par malheur, une mère ravagée d’angoisse…
    Tous ces hommes au regard allumé qui l’ovationnaient ne rêvaient que de passer un moment dans son lit. Aussi, quand le rideau se baissa, se produisit-il une sorte de ruée vers les coulisses mais la porte en était étroite et il suffisait d’une paire de vigoureux machinistes pour repousser le flot. Qui changea de direction et se précipita dans la rue pour assiéger la petite porte de côté baptisée « entrée des artistes ». Adalbert, plutôt contraint suivit le mouvement en se demandant comment il allait bien pouvoir obtenir l’entretien en tête à tête qu’il était venu chercher.
    Il constata vite que sa déception serait partagée. Lorsque Marie parut, chapeautée et vêtue de son manteau garni de singe, les deux gaillards qui l’accompagnaient n’eurent guère de peine à repousser les amateurs trop pressants. La jeune femme passa au milieu d’eux en distribuant sourires et baisers du bout des doigts dans la meilleure tradition hollywoodienne, mais se laissa pousser dans la voiture qui s’était rangée le long du trottoir, déchaînant une marée de protestations…
    — Ça se complique ! murmura Adalbert qui soliloquait volontiers lorsque quelque chose n’allait pas.
    Cependant, Dieu était avec lui car il avisa aussi tôt un taxi qui passait au ralenti et se précipita dedans :
    — Suivez cette voiture ! ordonna-t-il en tendant un billet au chauffeur.
    — Allons, bon ! Ça recommence ? émit le chauffeur en tournant vers son client un visage barbu qu’Aldo eût identifié sans peine.
    — Quoi, ça recommence ? Filez, vous dis-je !
    — J’entends par là que ce n’est pas la première fois qu’on me fait pister la fille Raspoutine. Vous allez être déçu, d’ailleurs ! Elle ne va pas loin. On va juste faire un petit tour avant de la déposer chez elle. Alors je peux vous donner son adresse si ça vous arrange ?
    — Ma foi non, j’aime autant faire cette promenade avec vous. Est-ce que par hasard vous ne seriez pas le colonel Karloff ?
    — Vous me connaissez ?
    — Je n’ai pas encore cet honneur, mais mon meilleur ami a déjà couru l’aventure avec vous il n’y a pas si longtemps.
    — Vous voulez dire ce pauvre Morosini ?
    — Eh oui ! soupira Adalbert en pensant que cette épithète déprimante allait bien mal au descendant des doges de Venise. Ne me dites pas que vous le prenez pour un assassin, vous aussi. Sinon, vous me donnez l’adresse et je descends !
    Le colonel-taxi haussa les épaules :
    — Il faut être aussi idiot que la police pour croire même un instant que ce vrai gentilhomme a pu se vautrer dans le sang de la malheureuse Tania. Même moi qui ne le connais pas beaucoup, je parierais ma barbe sur son innocence.

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