La Perle de l'empereur
à boire, on lui donnerait peut-être aussi de quoi manger. En attendant, il trempa son mouchoir pour en tamponner son front douloureux, revint s’asseoir sur sa paillasse et attendit…
Quoi, il n’en savait trop rien, n’ayant plus aucun moyen de compter le temps ; mais petit à petit, il fit moins noir dans sa prison et ce n’était pas seulement parce que ses yeux s’accoutumaient, c’était parce que le jour se levait et glissait un mince rayon de lumière entre deux pierres. Mince en vérité, mais suffisant pour qu’Aldo sût qu’il n’était pas au fond de la terre comme il le craignait, mais peut-être dans une de ces tours féodales comme il en existait encore aux environs de Paris. Malheureusement ses chaînes étaient trop courtes pour lui permettre d’aller coller son œil à cette bienheureuse fissure.
Voyant mieux, il put examiner son logis, qui était rond en effet et d’à peu près trois mètres de diamètre. Seulement il n’y avait pas de porte. Quant au mobilier, il se composait de la paillasse, du seau contenant de l’eau et d’un autre destiné sans doute à l’hygiène ; mais pas la moindre nourriture en vue, hélas ! Et il se sentait affamé…
Cherchant l’issue par laquelle on l’avait fait entrer, il regarda au-dessus de sa tête, mais les ombres étaient épaisses là-haut et ne permettaient pas de distinguer quoi que ce soit. Pourtant, ce fut de là-haut que soudain la lumière lui arriva après qu’un bruit de tôle se fut fait entendre et il sut qu’il était bien au fond d’un puits ou d’une citerne dont il évalua la hauteur à cinq ou six mètres.
Il y avait un homme qui se tenait accroupi au bord du trou, un homme qui portait un masque grimaçant de carnaval :
— Eh bien, mon cher prince, ricana-t-il, que pensez-vous de votre nouveau logis ? Un peu austère peut-être ?
L’oreille d’Aldo était trop sensible aux sons pour qu’il ne reconnût pas cette voix bien timbrée et somme toute agréable :
— Il m’est déjà arrivé d’être prisonnier, répondit il avec une désinvolture qu’il était bien loin d’éprouver mais qui était chez lui une seconde nature. Toutes les prisons se valent. Il est vrai qu’on pourrait attendre mieux de l’hospitalité d’un grand d’Espagne.
— Parce que vous pensez que j’en suis un ?
— Hélas oui ! Ôtez donc ce masque, mon cher marquis ! Vous êtes ridicule !
— Dans quelques jours vous me trouverez moins ridicule, messer Morosini. Quand vous apprécierez mieux les agréments de votre séjour. Il se peut que vous me suppliiez à genoux de vous en tirer. Seulement cela ne servira à rien tant que…
— Tant que quoi ?
— Tant que je n’aurai pas reçu ce que je veux !
— Et que voulez-vous de plus ? Vous avez déjà la « Régente », les bracelets de la princesse Brinda et l’émeraude d’Ivan… sans compter ma montre, mon alliance et ma chevalière.
— J’admets que c’est intéressant. La perle surtout qui ne quittera plus les Joyaux de la Couronne. Le reste va entrer dans mon trésor de guerre ainsi que ce que j’attends de vous.
— Là où j’en suis, je ne vois pas très bien ce que je pourrais vous donner. Ma chemise ? Si ça peut vous faire plaisir.
— Il faudra qu’elle vous serve encore un bout de temps. Non, ce que je veux, c’est votre collection de bijoux. On dit que vous avez des pièces magnifiques…
— Pas mal, oui, mais j’aurais quelque peine à aller vous la chercher. C’est loin, Venise !
— N’exagérons rien ! L’un de mes serviteurs y est justement parti. Je l’ai chargé de déposer chez vous, sous l’aspect anodin d’un commissionnaire un petit paquet contenant votre sardoine ancestrale et une lettre. Le tout adressé à votre femme…
— Ma femme n’est pas à Venise !
— C’est contrariant, mais comme le paquet va arriver en urgence, il y aura bien quelqu’un pour lui faire parvenir mon message ? Votre séjour risque seulement de se prolonger un peu plus !
— Et que dit ce message ?
— Qu’elle doit, si elle veut vous revoir vivant m’apporter elle-même ces babioles là où je le lui indiquerai. Si elle tardait trop, d’ailleurs, j’ai spécifié qu’elle pourrait recevoir votre alliance… et le doigt qui va avec !
Si quelque chose trembla dans le cœur d’Aldo ce ne fut pas à la pensée de la mutilation annoncée, mais bien à l’évocation de Lisa invitée à se jeter
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