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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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chenapan, ou tu tâteras de ça. »
    Un visage de femme, encore joli, et tout rose de chaleur, apparut entre les rideaux ; il devint aussitôt encore plus rose et disparut bien vite. Mais Riquet était déjà pris. Il ôta son bonnet, arrangea ses cheveux défaits et frappa doucement sur le bois de la litière. La femme reparut, avec un voile mauve sur ses cheveux blonds.
    « Qu’y a-t-il ? Que voulez-vous, bon pèlerin ?
    — Une grande grâce, dame, au nom de Celui qui nous a tous sauvés.
    — Et laquelle, ami ? Entre pèlerins, on s’aide comme on peut.
    — Une place dans votre litière.
    — Hein ? ce ne serait guère décent, ami. Je suis seule avec mes deux servantes.
    — Oh ! ce n’est pas pour moi, belle gracieuse dame. C’est pour un pauvre aveugle qui a les pieds malades. Ça ne peut pas offenser votre pudeur, pour sûr, et vous ferez une bonne œuvre. »
    La femme se pinça les lèvres. « Je n’ai pas de place.
    — Allez, vous en trouverez bien. Vous avez dit qu’il faut s’entraider. J’ai bien vu que vous étiez bonne, belle comme vous êtes.
    — Si je devais mettre dans ma litière tous les pauvres qui ont les pieds malades, il me la faudrait aussi grande que l’arche de Noé.
    — Pas tous, un seul, belle rose de Saron. Ce n’est pas tout d’être belle, dame.
    — Vrai ! dit la femme, ce n’est pas tout d’être beau, non plus. Vous êtes bien impudent. Et pourtant, je vous jure que j’aimerais encore mieux donner une place à vous qu’à un gueux aux pieds pourris.
    — Ça, je le crois bien, dame.
    — Vraiment ? Et que croyez-vous, l’ami ?
    — Je crois que vos deux servantes iront ce soir se chauffer près du feu et chanter des cantiques.
    — Qu’elles y aillent ou non, ce n’est pas ton affaire.
    — Grand merci de votre bonté, dame. »
    Riquet laissa passer la litière et se mit en quête d’un cavalier charitable. Il n’en trouva pas et, jusqu’au soir, il lui fallut se relayer avec le vieux pour porter Bertrand sur son dos. Le soir, le convoi s’arrêta dans un couvent près de Jaffa ; c’était un couvent pauvre, encore mal remis des dégâts causés par la guerre. Il n’y restait guère que quelques moines, qui travaillaient dur pour remettre en état la chapelle et pour entretenir une partie des vignobles. Ils avaient toujours du pain frais, de la soupe chaude et du vin à offrir aux pèlerins de passage, et profitaient aussi de dons faits par des pèlerins riches.
    On fit des feux dans le vaste enclos fait de pierres ramassées au petit bonheur. Les moines faisaient le tour des feux avec de grandes marmites de soupe et de grosses louches de bois. Les pèlerins riches avaient pris place devant la table du réfectoire.
    Un novice allumait dans la chapelle des cierges pour complies, mais bien peu de ceux qui étaient venus à pied eurent le courage d’assister à l’office. La nuit était froide et claire. Derrière la fumée rose qui montait des feux et qui faisait paraître le ciel encore plus noir, les étoiles, grosses comme des pierres, brillaient d’un éclat dur et tremblaient à peine. Couchés par terre sur leurs manteaux, trop harassés pour dormir, les hommes écoutaient le crépitement des épines dans le feu et les voix lointaines des moines qui psalmodiaient leurs cantiques.
    « La voilà donc, la route de Jérusalem, pensait Ansiau. Comme le cœur bat fort. Encore deux jours seulement. Je ne la verrai pas, la très belle. Bah ! Que sont les yeux ? de la chair. Mon cœur la verra. Ô le seul lieu du monde qui soit vrai et sûr. Ni vivante ni morte. Dame, adieu, me voilà près de la seule épouse vraie de tout chrétien. Amères sont les épousailles, parce que je viens tard.
    » Pardon, dame, de vous avoir quittée comme on quitte un vêtement ou une maison. Jamais je n’ai aimé de femme. Fini, ce lien où vous vous êtes usée corps et âme. Pardon, sœur chère, de ce que vous n’avez pas été pour moi la nourriture de mon âme.
    » Jérusalem, image de celle qui est glorieuse auprès de Dieu, puisqu’il nous faut bien aimer en image ici-bas, que nous reste-t-il à aimer d’autre que toi, belle, et si humiliée ? C’est sur toi, et non sur une autre ville, que Dieu a pleuré ses vraies larmes d’homme. »
    Riquet coucha jusqu’à matines dans la litière à rideaux bleus. Puis il se rendit à la chapelle, pour l’office. Les moines, debout devant le lutrin, entonnaient le cent quatrième psaume.

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