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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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Les cierges éclairaient les poutres noires, les pierres brûlées de la voûte, les fresques lépreuses et mal repeintes du chœur.
    Il s’enveloppe de lumière comme d’un manteau  – il étend les deux comme une tente.
    Les montagnes se sont élevées et les vallées se sont abaissées…
    Tu as posé une limite pour les eaux  – afin qu’elles ne reviennent plus couvrir la terre.
    Comme enivré, Riquet se replongeait à nouveau dans ces paroles si connues et si étrangères à toutes ses misères et à ses hontes. Et il chantait avec les moines. « Au retour de Jérusalem, pensait-il, je viendrai ici. Peut-être voudront-ils de moi. Il leur faut des hommes. Ce n’est pas pour rien que Dieu m’a conduit ici, près des frères qui sont en danger et dans le besoin. C’est peut-être là ma vraie voie. » Il se souvint de la femme et du rendez-vous fixé pour le lendemain. « Ah ! qu’importe ? À Jérusalem, j’expierai tout. »
    La marche à travers la montagne déserte devenait de plus en plus dure. Dès avant midi, le soleil brûlait si fort qu’il fallait s’arrêter. Deux hommes et une femme, frappés d’insolation, avaient dû être couchés dans une litière, dont les occupants avaient pris place sur les chevaux de leurs valets. Les chevaux, fourbus, avançaient à peine. Il restait encore deux jours de marche.
    On n’avait pas l’impression d’avancer ; toujours les mêmes montagnes qui semblent vous écraser de toutes parts. D’immenses pentes arides, grises et brunes, des rochers, presque pas d’arbres. Une route pierreuse, large mais pleine de creux, se confondant par endroits avec un torrent desséché. Un ciel d’un bleu si vif que tout en paraît décoloré, et les rochers, et la route, et les visages. Tout est comme mort. Quelques aigles seulement planent sur le haut des monts.
    Quand un cavalier en blanc apparut brusquement sur un des rochers près de la route, Jacques de Verneuil eut à peine le temps de pousser un cri d’alarme : sans qu’on ait pu comprendre d’où ils avaient surgi, une cinquantaine de cavaliers dévalaient la pente, avec de longs arcs bandés ; et les premières flèches étaient tombées avant que la plupart des pèlerins aient aperçu l’ennemi. Moins d’une minute après, ils étaient plus de cent, blancs sur leurs petits chevaux noirs, et plus rapides que des démons. Les flèches sifflaient ; et les hommes poussaient de petits cris aigus et rythmés, faisant un vacarme qui ôtait la présence d’esprit aux plus hardis. Les chevaux des hommes armés étaient tombés dès la première minute, la gorge percée et vomissant le sang. Et les chevaux des litières, effrayés, s’emballaient et tournaient en rond, piétinant litières et cavaliers.
    Jacques de Verneuil fut tué le premier, puis ce fut le tour des soldats. Les piétons, couchés par terre pour éviter les flèches et tremblant d’être pris sous les pieds des chevaux, comprenaient à peine encore ce qui leur arrivait quand ils se virent traînés par terre, tirés par les épaules, empoignés par des mains sèches et noires, liés les uns aux autres avec leurs ceintures ou leurs chemises. À peine osaient-ils crier d’effroi et de douleur. Car ces hommes au langage aboyant, aux visages noirs à moitié cachés sous les capes blanches étaient vraiment comme surgis d’un autre monde, et moins humains que les diables du Jugement dernier.
    Et c’est ainsi qu’en quelques minutes ces hommes vivants se trouvaient transportés dans un autre monde, et que leur âme leur était arrachée par un dépaysement proche de la mort. Pour les plus riches, c’était une aventure terrible, l’angoisse, la souffrance et la crainte pour la vie ; mais pour les pauvres, c’était la quasi-certitude que leur vie était perdue à jamais. L’inconnu qui les attendait à présent était plus effrayant pour certains, et plus étranger, que ce qu’ils étaient habitués à imaginer comme le monde d’après la mort – enfer ou purgatoire.
    De tous, les deux aveugles étaient certainement, sinon les plus malheureux, du moins les plus abasourdis. Car ils n’avaient rien vu et s’étaient brusquement trouvés plongés dans un tumulte de voix, de cris et de piétinements, et tout était fini qu’ils n’avaient pas encore bien compris ce qui se passait. Une attaque ? Mais d’où ? Par qui ? Qui les avait liés ? Où étaient les autres ? Le vieux avait du moins Auberi, qui s’était

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