Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
Vom Netzwerk:
S’il ne le veut pas, c’est donc qu’il le faut. Vous n’avez pas à vous moquer.
    — Je suis las de vous, compagnon, et de votre Dieu qui punit toujours pour rien. Je n’ai pas mérité ce qui m’arrive, moi ; ni vous non plus. Mais vous ne voulez pas voir où est le mal.
    — Suis-je un clerc pour discuter ? Vous vous plaignez toute la journée comme une femme. Mais les femmes, au moins, ont leur chapelet pour leur occuper la langue.
    — Ah ! maudit le jour où je vous ai rencontré ! Sans vous, je serais mort depuis longtemps, et vous me traînez depuis un an dans la misère et la faim, et ces deux pauvres garçons aussi, et pour nous mener où ? À une pire misère encore, dans un pays étranger. Que n’êtes-vous resté croupir et engraisser dans votre château, près de votre femme ! Ah ! Dieu sait, j’étais fou, moi aussi, moi aussi j’espérais Dieu sait quel miracle de cette maudite Terre Sainte. Et ce ne sont que pierres mortes ici, et morts qui enterrent leurs morts.
    — C’est que vous ne connaissez pas le pays, compagnon. Et je vous dirai, moi, que pour toute pécheresse qu’elle peut paraître, cette terre, on y prie et on s’y bat plus que partout ailleurs, et nous y verrons peut-être encore de plus beaux faits d’armes que tout ce qu’on y a vu jusqu’ici. Ce pays n’a jamais manqué de braves. Et les morts, après tout, il faut bien les enterrer comme il faut, est-ce chrétien de les enfouir en terre comme des chiens ?
    — Ah ! On ne peut pas parler avec vous. Vous ne connaissez même pas les Écritures. C’est tout juste si vous pouvez bafouiller quelques mots de latin sans les comprendre. Vous appelez cela prière. Et quand vous trouvez un corps tout pourri d’où l’Esprit est parti depuis longtemps, vous l’adorez comme une idole. Si le Fils de Dieu avait voulu cela, et s’il avait eu un vrai corps, il l’eût laissé sur terre pour être adoré. Mais comme il ne l’a pas laissé, vous avez quand même voulu faire votre œuvre du diable sur lui, et vous avez idolâtré son sépulcre, et sa croix, et toutes choses mortes qui ont servi à l’humilier sur terre. Pourquoi n’adorez-vous pas Ponce-Pilate, et Caïphe, et Judas ?
    — Ah ! Vous recommencez toujours la même histoire. Pourquoi parler de cela ? C’est un mystère, ça. Qui peut en parler ? Ce ne sont pas choses humaines. »
    Bertrand haussa les épaules et ne dit plus rien. Ses discussions avec le vieux finissaient toujours de cette façon. Chaque fois, il se jurait de ne plus parler sérieusement à un être aussi obtus ; mais toujours il recommençait. Il s’était trop attaché à cet homme pour ne pas lui faire part de ses pensées.
    Le surlendemain de l’arrivée, Ansiau décida de se rendre au palais du roi, où devaient loger plusieurs chevaliers champenois qu’il connaissait vaguement pour les avoir rencontrés à Troyes, et qui faisaient, à présent, partie de la maison du roi. Un beau-frère d’Haguenier de Hervi en était, et Ansiau pensait avoir par lui des nouvelles des siens.
    Il se fit donc tailler la barbe et les cheveux par Riquet – car il commençait à avoir l’air d’un Père du désert – et rajusta ses vêtements de pèlerin aussi bien qu’il put. « Suis-je très blanc à présent, Riquet ? — Blanc, non, mais ça grisonne bien par-ci par-là. Vous ne devez pas être bien vieux, non plus. — Moi ? Oh ! que si. Viens, mon garçon, il faut les trouver avant qu’ils sortent pour la messe. »
    Herbert de Beaufort, le beau-frère de feu Haguenier, reconnut assez vite l’ancien châtelain de Linnières. « Ha ! dit-il, j’aurai de bonnes nouvelles à faire parvenir à votre fils, mon parent. Je ne vous savais pas en Palestine. — Quelles nouvelles avez-vous du pays ? — Des vôtres, je ne sais pas grand-chose. Je sais qu’Herbert a adoubé son fils et qu’il l’a marié à la veuve de Thibaut de Villemor. — Hein ? Herbert eût pu trouver un meilleur parti, la veuve en question était criblée de dettes. Et de ceux de Monguoz, vous ne savez rien ? — Gilles est maintenant maréchal des logis chez le comte de Brie, et son fils s’est fait Templier. Pas ici, là-bas. Ah ! oui, je crois que votre gendre de Buchie est mort. » Ansiau se signa, puis se mordit les lèvres. « Aïe ! dit-il, j’aurais dû y penser. Il était vieux et malade. J’aurais dû choisir et désigner un futur mari pour ma fille, avant mon départ.

Weitere Kostenlose Bücher