Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
Vom Netzwerk:
Gaucelm de Castans – ou Bertrand ou Pierre ou Jacques – cette chose geignante, sans face, sans yeux, – hideuse, oui, sans se voir, il le savait, hideuse. Voilà l’homme. Ecce homo. Voilà ce que pouvait devenir un homme.
    Le vieux. Il devait être là, à quelques pas, perdu parmi les autres, marchant de son pas lourd et égal, comme il avait marché sur les routes de l’Albigeois. Regrettant sans doute sa Jérusalem et les messes qu’il ne pourra pas faire dire. Celui-là, jeté dans de la poix bouillante, penserait encore à ses messes. Haïr ce fou ? Il n’en valait pas la peine. Il était de ceux qui ne savent pas ce qu’ils font, lui qui avait entraîné dans cet enfer ses compagnons, et qui ne savait que dire : c’est Dieu qui le veut. « Dieu, que veut-il. Dieu ? Alfonse, Alfonse, c’est toi qui m’as condamné à ce martyre, parce que tu aimais Dieu. Maudit sois-tu, Alfonse, et maudit ton Dieu, il me fallait cela pour apprendre à te maudire vraiment.
    » Mon amour est mort, Alfonse, mon amour charnel, concupiscence des yeux et du cœur. Ta beauté, ta douceur, ta pure voix, quand tu descendrais du ciel comme un ange pour me consoler, en souffrirais-je moins ? Comme le prêtre et le lévite tu as passé devant ma misère, ô menteur, et maintenant ton souvenir même ne m’est plus qu’amertume et ennui. Tu ne m’es plus rien. Où que tu sois, je te maudis, Alfonse, que ma souffrance t’empoisonne l’âme à jamais, les siècles peuvent passer et les mondes finir, jamais l’injustice qui m’a été faite ne sera réparée. Car le Prince de ce monde a tout pouvoir sur les âmes et sur les corps, et tout lui a été abandonné. Jamais je n’irai à Dieu.
    » S’il me fallait cela pour comprendre ce qu’est le mal, je l’ai compris. Honte à celui qui a attendu cette humiliation dernière pour trouver le courage de détruire la pourriture en soi. Je n’irai pas plus loin. Que le vieux marche toujours, s’il veut. »
    Et brusquement, il s’arrêta, et jeta par terre le paquet de tissus qu’il portait sur l’épaule. Tout s’éclaircissait dans sa tête, avec une vitesse effrayante – des images passaient, si nettes qu’il croyait avoir retrouvé ses yeux. L’homme qui le suivait buta contre lui, puis le dépassa. Et Bertrand s’avança vers le bord de la route, à tâtons, son pied heurta une pierre, et il fut étonné de ne plus sentir de douleur. Il était comme ivre. Il entendait des voix, des bruits de sabots, des cris de colère. Il fit encore trois pas, les deux bras levés au-dessus de sa tête.
    Un coup de fouet lui cingla les épaules, il en eut comme une sensation de brûlure, vacilla, se retourna : un homme à cheval était près de lui, il entendait le souffle de la bête, la voix rauque de l’homme à trois pieds au-dessus de lui. Lentement, il se baissa, ramassa une pierre qu’il venait de frôler du pied et, se redressant, la brandit au-dessus de sa tête. Il n’eut pas le temps de la lancer ; il eut à peine le temps de sentir quelque chose de sifflant et de froid s’abattre sur son cou.
    Le convoi s’était arrêté, et les prisonniers regardaient la scène, muets d’horreur. Cela s’était passé si vite, ils avaient vu le cavalier rattraper le fugitif, cravache en main. Et ils virent la tête de l’aveugle rouler sur la pente, sautant comme une balle et se brisant contre les pierres. Le corps décapité resta encore debout quelques secondes, puis s’affaissa, perdant des flots de sang noir. Le cheval hennit et se cabra ; le convoi un instant arrêté se remit en marche.
    Alors une voix s’éleva, aiguë, perçante, une plainte sans mots, un interminable cri d’horreur, et cette voix glaça les prisonniers presque autant que la vue de la tête coupée ; les femmes se mirent à crier aussi, il fallut les faire taire à coups de fouet. La route descendait parmi les rochers blancs de soleil, et le ciel était d’un bleu tout uni, vif et cru. Le corps agenouillé parmi les pierres, les épaules en avant et les bras écartés, tressaillait encore et le sang jaillissait du cou par saccades ; et c’était cela qu’Auberi regardait, la tête toujours tournée en arrière, et comme fasciné, et c’était cela qui le faisait crier sans qu’il pût s’arrêter. Le bruit du crâne se brisant contre les rochers résonnait toujours dans sa tête.
    Le vieux n’avait pas compris ce qui se passait. Il entendait Auberi crier, et son cœur se

Weitere Kostenlose Bücher