La Pierre angulaire
apporté un apaisement. Il comprit que sa prière, si amère qu’elle fût, lui était devenue une nourriture aussi vraie que le pain, et qu’elle était entrée en lui, sans qu’il le sût. Au cachot, il la continuait, toujours debout et les mains accrochées à la fenêtre ; elle lui donnait des forces et son esprit ne s’égarait plus. Seulement il se sentait très changé, et détaché de tout ce qui lui arrivait. Il n’éprouvait même plus de remords de son péché. C’était si peu de chose, en comparaison de la souffrance qu’il avait causée ; ce péché était comme le brin de paille qui s’enflamme par hasard et brûle la maison. Sa maison à lui avait brûlé, son père, et sa vie à lui. À Dieu maintenant d’aider.
SEPTIÈME ÉPREUVE OU MARIE COURONNÉE
Le cinquième dimanche du Carême, Haguenier, rentré de la messe, attendait la visite d’Aielot ; il espérait que Jacques de Pouilli viendrait aussi : Jacques, du moins, ne lui faisait pas de reproches et empêchait sa femme de trop parler. La porte s’ouvrit, et le gardien fit entrer une femme plus petite qu’Aielot, enveloppée dans un grand manteau vert, et la tête couverte d’un voile.
Haguenier sauta sur ses jambes et courut à la porte, pour empêcher le gardien de la fermer, mais déjà il entendait le loquet se baisser. Alors il resta là, adossé à la porte, baissant la tête, car il n’osait pas regarder la femme qui se tenait devant lui. À quel point, tout au fond de lui-même, il l’avait attendue, il s’en rendait compte à ce moment-là. Et rien au monde ne pouvait l’effrayer davantage.
Mais le premier instant de terreur passé, la raison lui revint. « Suis-je un rustre, pensa-t-il, pour la recevoir si mal, elle qui me fait une si grande grâce ? » Il leva la tête, avec effort.
Elle avait relevé son voile, et il vit un visage maigre et pâle, aux paupières brunies, aux traits tirés. Seule la noblesse des lignes de la bouche, du nez, des yeux largement fendus attestait encore son ancienne beauté, autrement ce visage fatigué, mortellement triste, n’avait plus rien de la splendeur de naguère. Et la pitié et la tendresse balayaient de l’esprit d’Haguenier toute faculté de penser à lui-même. « Ô ma très belle, ma très douce, dit-il, comment avez-vous pu ?… Pour l’amour de Dieu, ne restez pas là, appelez le gardien. Pourquoi venir ici et vous tourmenter encore plus ? »
Elle écarta les pans du manteau et lui mit les mains sur les épaules. « Une sœur a le droit de venir voir son frère, s’il est malheureux. J’aurais fait bien plus pour vous. »
Il dit : « Vous ne devez pas être ici. Je ne veux pas que vous soyez blâmée à cause de moi.
— Qui pourra me blâmer ? Tout le monde sait que vous m’avez aimée. Quoi, par simple charité on vient visiter les prisonniers qu’on ne connaît même pas, et moi, votre amie, je refuserais de vous voir ? Je serais moins pour vous que votre sœur ? Si je n’étais pas venue avant, c’est que j’étais malade.
— Ah ! Dieu, et je ne le savais pas ! Oh ! ma dame à moi, ma plus belle au monde, et vous avez fait le voyage jusqu’à Troyes, dans votre état, et par un temps si mauvais – et vous n’êtes pas encore guérie, cela va vous fatiguer encore – et c’est pour moi que vous avez fait cela, sachant ce que j’ai fait. Il ne fallait pas faire une telle folie.
— Ah ! dit-elle tristement, je vois bien, vous ne teniez pas tellement à me revoir. » Haguenier ne savait plus où se mettre et promenait ses regards autour de lui, tourmenté de voir que la dame restait debout, fatiguée comme elle était et avec ce poids dans le corps – et il n’avait même pas de lit. Il finit par tirer sur sa paillasse la couverture rouge qu’Aielot lui avait donnée, et prit la dame par les deux mains pour la mener vers la paillasse et l’aider à s’y asseoir. « Vous serez mieux ainsi, dit-il, comment ont-ils pu vous laisser entrer dans ce cachot, les chiens, avec cette mauvaise odeur et ce froid ! N’enlevez pas votre manteau, surtout. Et même, je ferais bien de vous mettre ma veste sur les épaules. Je vois que vous grelottez.
— Ah ! dit-elle, impatientée, suis-je un enfant ? Ne pouvez-vous parler d’autre chose ? » Il s’assit devant elle, à ses pieds, et se mit à enlever du bas du manteau des brins de paille qui s’y étaient accrochés.
« C’est la première fois que vous venez me
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