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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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pardonnez-moi. Je ne sais pas comment je vivrai sans vous. Dieu vous garde, surtout. Partez, vous êtes déjà restée trop longtemps. C’est bizarre, quand vous êtes là avec moi, il me semble que c’est pour toujours.
    — À moi aussi, dit Marie. Mais je ne reviendrai plus. »
    Il se mit à frapper à la porte pour appeler le gardien. Marie lui tendit les bras, timidement, et il s’y jeta et la serra contre lui, lui baisant les cheveux sur les tempes. « Ô mère, ô sœur, ô mon refuge. Comment faire ? Je mourrai sans vous. » Puis il entendit le loquet se lever et une rage subite s’empara de lui contre cette vie brutale qui les séparait ainsi. Il ouvrit la porte lui-même. Marie avait remis son voile sur sa figure, il plia le genou et lui baisa la main.
    « Ainsi donc elle a été malade, pensait-il en arpentant le cachot de long en large, et moi qui ne voulais pas demander de ses nouvelles à ma sœur pour ne pas penser à elle ! Comme elle a maigri. C’est si fragile, les femmes. Et elle a encore des soucis à cause de moi. Et je lui ai fait de la peine. Et elle va accoucher bientôt. Si dame Isabeau, qui est forte, et qui a déjà eu beaucoup d’enfants, a tant souffert… Rien que de penser à cela, un homme ne devrait jamais oser toucher à la femme qu’il aime. Il y en a qui en meurent. Et elle qui est si bonne, qui ne pensait qu’à moi, qui ne parlait que de moi. Ah ! quelle leçon, se disait-il, et pourrai-je jamais comprendre sa charité ? Ou elle aime ainsi un homme sans valeur, voilà le vrai amour. Car Dieu doit aimer ainsi. Je serais le dernier des goujats si je profitais de sa bonté pour vouloir l’entraîner dans le péché. »
    Et toute la nuit il médita sur la profonde sagesse de sa dame, et dans tout ce qu’elle lui avait demandé, dans toutes les épreuves qu’elle lui avait imposées, il découvrait des leçons et des symboles, faits pour le guider vers Dieu. Sans savoir elle-même, parfois, comme une mère ne sait pas comment elle forme l’enfant dans son sein, elle l’avait formé à la vie. Oui, elle avait tout exigé de lui, pour lui enlever ensuite tout espoir et le laisser les mains vides – mais était-ce de la cruauté ? Elle devait sentir dans son âme de quoi il avait besoin. Tout cela elle l’avait fait pour lui faire comprendre ce que Dieu exige de l’homme.
    « Car je ne suis pas encore assez mûr pour comprendre ce qu’est l’amour de Dieu, et Il m’a envoyé ma dame comme une image terrestre de son amour à Lui. Non pas pour que je l’adore comme une idole, ni que je convoite sa beauté pour mon plaisir, mais pour que je perde tout, et que je la perde, et que je garde toujours ma foi en son amour très pur.
    » Amie trompeuse, votre charité fait plus mal que votre dureté. Pourquoi être venue me flatter d’un espoir inutile ? Car cela fait souffrir pour rien, et plus encore de vous savoir tourmentée, vous à qui je voudrais tant pouvoir donner la paix. Votre âme si belle est humiliée et tentée par ma faute, et je n’ai pas su vous consoler, je n’ai fait que vous peiner encore plus. Même à vous je vous aurai fait du mal. Mais c’est à la façon de l’enfant qui fait souffrir sa mère en venant au monde. Est-ce ma faute si je ne peux plus vivre par votre volonté ? »
    Le samedi des Blanches Nappes, Haguenier sortait de prison. Il avait été condamné à une peine assez légère, car son jugement avait eu lieu si peu de temps après Pâques – une amende, une pénitence publique et trente coups de verges, et encore à être marqué au fer rouge sur les lèvres qui avaient prononcé des injures contre un père, et sur la main qui avait frappé ; mais sur les lèvres la marque avait été plutôt symbolique, il n’en restait qu’une blessure légère qui se cicatrisait déjà. Il marchait dans les rues de Troyes, pleines de boue, et regardait avec étonnement le ciel bleu tout sillonné d’hirondelles au-dessus des toits gris des maisons. Il avait demandé à sa sœur et à ses amis de ne pas chercher à le voir, les premiers jours après sa sortie de prison, et à présent il le regrettait presque car il était brusquement envahi par une telle crainte de la solitude qu’il avait tenté d’adresser la parole au premier passant, dans la rue. Mais en même temps, il éprouvait de la difficulté à parler, et pas seulement à cause de sa lèvre blessée.
    L’humiliation du châtiment lui brûlait encore sur les

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