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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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fin.
    — Comment ça ? Je ne peux pas partir sans vous.
    — Il faudra bien. Je te délie de ton serment. Je peux vivre encore cinq ans ; tu ne peux pas rester cinq ans ici. »
    L’enfant se pendit à son cou et l’étreignit sauvagement. « Je resterai bien vingt ans, si vous vivez. Je n’ai nulle part où aller, que vous. » Le vieux éclata en sanglots, bruyants et secs comme des jappements.
    Jamais il n’eût cru que l’enfant tînt une telle place dans son cœur. À présent, il pensait de plus en plus aux dangers que courait Auberi, même dans la journée cette pensée ne lui laissait plus de repos. « J’en répondrai à sa mère, au Jugement dernier, se disait-il. Qu’ai-je fait de lui ? Est-ce pour le damner qu’on me l’a confié ? » Et plus il y pensait, plus il se rendait compte combien il craignait de ne plus entendre la voix de l’enfant, chaque soir, après l’appel du muezzin. « Il le faut, pourtant, pensait-il, il est jeune, le diable est fort. »
    « Auberi, disait-il, je suis ton maître. Tu dois faire ce que je te dis. C’est pour servir Dieu qu’on vient dans ce pays, et pas pour servir des chiens musulmans. »
    Auberi écoutait, tête basse, buté.
    « Je ne sais pas comment servir Dieu. Si je vous quittais je serais un traître. Je n’irai nulle part sans vous. Et puis, de toute façon, je ne saurais pas.
    — Ah ! fils de chienne ! Moi, si j’avais des yeux ! Tes Génois sont des vilains et des fils de vilains. Tu es né libre, toi, oui ou non ? Et même Riquet, qui est fils de paysan, tu crois qu’il ne s’est pas déjà évadé, d’où qu’on l’ait emmené, que ce soit même dans le désert d’Arabie ? Il doit bien y avoir moyen. »
    Auberi hochait la tête, sans répondre. À part lui, il pensait : « Ce n’est pas tout d’avoir des yeux. »
    Il avait les chevilles liées par une grosse corde qui l’empêchait de faire de grands pas. Il eût pu l’enlever sans trop de peine. Mais il n’était jamais seul, et se méfiait de la plupart de ses compagnons, qui, bien que chrétiens, le détestaient comme Français. Et puis, il faudrait escalader le mur, pas très haut, mais gardé, puis sauter d’une dizaine de pieds de hauteur, ramper hors du fossé, et là… là était le pire, un pays inconnu. Et dans les rares villages qu’il pourrait rencontrer, on ferait vite de le reconnaître et de le prendre comme un esclave évadé, il ne savait que quelques mots de la langue du pays ; et il était plus blond que jamais à présent.
JÉRUSALEM
    La nuit était froide et sans lune. Mais il y avait tant d’étoiles qu’il semblait ne plus y avoir de place pour un coin de ciel noir.
    Il n’y avait qu’à regarder fixement pour en voir apparaître encore et encore ; parmi les grandes aux rayons jaunes et bleus et verts qui tremblotaient et clignotaient, il y en avait des milliers de petites, toutes blanches, comme du fil d’argent dans un tissu de brocart ; et la grande route Saint-Jacques s’étalait toute parsemée de gemmes comme un long drap d’autel tout blanc. Couché par terre dans les herbes sèches, la tête renversée en arrière, Auberi regardait, s’efforçant de comprendre comment toutes ces lumières tenaient ensemble, et il lui semblait entendre ces cascades d’étoiles rouler lentement et se déverser quelque part derrière la terre dans un gouffre au bout du monde.
    Il était ivre de ne plus sentir la corde aux pieds, les murailles autour de ses pas, jamais, dans sa crainte mortelle, au moment de l’évasion, il n’eût pu croire qu’il pourrait être heureux cette nuit-là. L’avait-il su seulement, combien cela lui pesait de ne pouvoir aller où il voulait ? Il avait à manger, là-haut au village, on n’était pas méchant avec lui ; il avait son seigneur.
    Fini, tout cela, à présent. À jamais perdu, le doux visage de son maître, avec son grand œil mort, et son sourire jeune à force de bonté. « Perdu à jamais, car même si l’on me retrouve, pensait-il, on me tuera et je ne le reverrai plus. Ah ! pourvu qu’on ne me torture pas, qu’on ne me force pas à devenir païen. » Où aller, et comment ? Ce n’était plus à lui d’avoir peur de la grand-route et de la faim. Mais à combien de journées pouvait-il être d’un pays chrétien ? Il n’en savait rien. Il était fourbu, les écorchures aux coudes et aux genoux saignaient, il avait rampé pendant des heures dans les buissons.
    Il avait

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