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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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soif. Il avait réussi à voler une outre d’eau au gardien endormi, mais il ne voulait pas encore y toucher. À son côté, roulées dans un pan de sa ceinture, il avait dix galettes de maïs que le maître, depuis huit jours, avait mises de côté pour lui au lieu de les manger – son repas du matin. À présent le maître pourra manger. Auberi s’était juré de ne pas toucher aux galettes avant le lendemain ; elles lui semblaient plus précieuses que de l’or, s’il eût pu il les eût gardées comme reliques.
    La faim, la soif, le sommeil ? il ne les sentait plus, Dieu le protégeait.
    Ses nerfs étaient tendus comme des cordes de luth, et devant ce ciel glacé et rutilant il croyait entendre son corps chanter avec les étoiles. Des chacals jappaient au bas de la colline, des cigales crissaient dans les herbes. Libre comme les bêtes des champs. Seul au monde sur cette terre sans croix, traqué par les hommes comme un loup. Qu’avait-il fait ? C’étaient des hommes pourtant, qui mangeaient, et chantaient, et faisaient sauter leurs petits enfants sur leurs genoux. Et ils le tueraient sans pitié comme un chien, parce qu’il ne parlait pas leur langue et demandait le droit de marcher sur la grand-route sans corde aux pieds.
    Ah ! il l’aurait, ce droit, ah ! non, les chiens païens ne le prendraient plus. « Ô mon Seigneur, mon père, qu’en paradis je vous revoie, car sur cette terre c’était trop amer ; en paradis vous aurez vos beaux yeux grands ouverts et vous me verrez, père.
    « Comme les bêtes des champs, comme les petits oiseaux dont pas un ne tombe en vain. In te Domine speravi. Par la grande joie qui est au ciel cette nuit et toutes les nuits, Seigneur, pitié. Seigneur, Notre-Dame Sainte-Marie et les saints me sont témoins, je n’ai jamais fait de mal à personne. »
    Il ouvrit les yeux, péniblement. Il avait le visage en feu, les paupières gonflées, la bouche pâteuse. Où était-il ? Des tiges de ronces, de hautes herbes dures et jaunes se découpaient sur un ciel bleu vif. Il crut d’abord être en Provence, sur la route des Saintes-Maries. Puis il se souvint, et une telle détresse l’envahit qu’il referma les yeux et eut envie de mourir. Et certes, s’il suffisait de le désirer, pour mourir sur le coup, il fût mort à ce moment-là. Puis une grande pitié de lui-même le prit et il se mit à pleurer tout haut comme un petit enfant, en reniflant et en avalant ses larmes. Il se sentait si faible, le corps si douloureux, il n’avait aucun espoir de sortir vivant de cette aventure. Sa tête était comme une cloche sans bourdon, affreusement lourde, énorme, dès qu’il la remuait une nausée l’envahissait et tout devenait noir devant ses yeux. Et cela tintait et tintait aux oreilles si bien qu’il ne percevait plus le chant des cigales.
    Le soleil était haut dans le ciel, il devait bien être midi.
    Il se souvint de l’outre qui pendait à sa ceinture, de sa provision de galettes. L’eau était tiède et sentait le chameau. Mais il buvait et buvait et sentait comme du sang frais circuler à nouveau dans son corps. Il mangea trois galettes l’une après l’autre, jusqu’à avoir l’estomac gonflé comme un sac de baudruche et là il retomba de nouveau par terre, incapable de faire un mouvement. À ce moment-là, il lui semblait que la seule chose à faire était de rester là jusqu’à l’épuisement des provisions, et mourir de faim ensuite. Car il savait bien que s’il se risquait seulement à faire quelques pas, un berger, un cavalier errant sur les collines eussent vite fait de le repérer ; ils surgissaient toujours d’on ne sait où, comme des fantômes. Dieu sait combien il pouvait y en avoir derrière les rochers, à faire le guet. En fermant les yeux il revoyait de nouveau la tête de Bertrand roulant et se brisant sur les pierres. Il ne savait pas où il était, mais il croyait bien être sur la colline qui longe le lit de la rivière desséchée, de celle qu’on appelait l’oued-el-Attara.
    Il dormit jusqu’à la nuit, et ce fut de nouveau un réveil pénible, et de nouveau il avait soif. Et si froid. La fièvre le secouait. Il but quelques gorgées d’eau, puis se leva et se mit en route.
    Au village, il avait longuement réfléchi sur la route à prendre, d’après les étoiles. Il s’était dit que pour aller vers la mer il fallait se guider sur une étoile qui était à peu près à mi-chemin entre le Chariot et la Croix du

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