Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
Vom Netzwerk:
ainsi. Seigneur, Ami Seul, nous aurions pu tourner attachés à cette barre ensemble, lui et moi ; j’aurais pris tout le poids sur moi. Bertrand, compagnon, ami faux, que Dieu vous pardonne comme je vous pardonne, qu’il vous juge comme je vous juge, ami.
    » Qu’il pense à vous comme je pense à vous. Qu’il vous aime, même si vous ne l’aimiez pas. »
    Les longues journées. Peu à peu l’habitude était venue de se tenir courbé, le vieux s’était fait à son joug, et pensait que ce travail-là était plus tranquille qu’un autre. Parfois il lui semblait qu’il marchait, tout simplement, qu’il avançait sur une route interminable, qui ne différait pas beaucoup de toutes les routes de Provence, de Guyenne, de Palestine qu’il avait parcourues depuis bientôt deux ans ; et là, il n’y avait pas de pierres ni de flaques de boue, et il n’avait pas à avoir peur de tomber.
    Et le soir il retrouvait Auberi, et chaque fois qu’il entendait la voix de l’enfant, Ansiau se ressouvenait de sa vie, et cela lui était amer. Car en l’absence d’Auberi il lui semblait être mort et enterré ; il n’y avait ni espoir ni crainte. Seule l’absence de Bertrand lui pesait, c’était comme si on l’avait privé de son bras, de ce bras où l’autre ne s’appuierait plus jamais, son compagnon, celui qui savait aussi comment résonnent les pierres et les murs, et comment on reconnaît un homme au toucher de sa main. Son compagnon aux paroles amères.
    Jamais il n’eût pensé que ce monde où il vivait eût encore tant de couleur, et tant de mouvements, et fût encore si plein d’hommes vivants :
    « Ils cueillent les olives, disait Auberi, les femmes en portent des paniers et des paniers sur leurs têtes. Des paniers d’osier hauts comme ça. Ça sent bon, les olives d’ici, ça doit être bon à manger… Le pays de par ici s’appelle Saint-Joseph, c’est Naplouse la ville la plus proche… Ils font leurs vendanges de l’autre côté du mont. Ce sont des espèces de juifs, mais pas des vrais juifs. Ils adorent des pierres sur le mont qui est derrière ce mont aux olives, on l’appelle mont de la Guérison (c’est ainsi qu’Auberi s’expliquait le nom de Garizim, comme il avait transformé Yasuf en Saint-Joseph). » C’est le Génois qui m’a raconté ça. « Je vais vous faire connaître le Génois, vous saurez sûrement lui parler. À Gênes, il avait trois fils, l’aîné était comme moi… Il paraît qu’une des femmes de l’émir est une Française d’ici, seulement elle n’adore pas le vrai Dieu ; il faut croire qu’on l’a forcée. C’est un grand péché, dites ? — Un grand péché, Auberi.
    — On a dû la torturer. N’empêche… qu’est-ce qu’elle doit penser, cette femme-là, quand elle prie, le soir ?…
    » … Aujourd’hui, disait Auberi, on a vu passer l’émir qui allait à la chasse, avec ses faucons. Et si vous le voyiez monter à cheval ! Un vrai chevalier. » Le vieux, en l’écoutant, se laissait aller à ses rêveries. « Et comment était le cheval ?… demandait-il.
    — Si l’on monte sur le rempart, on voit le Jourdain. Le soir, on dirait un sabre d’or. » Le vieux se signait. « Dites, mon seigneur, c’est vrai, ce que le Génois dit, que c’est le Jourdain où Dieu a été baptisé par saint Jean ? — Bien sûr, quel autre Jourdain voudrais-tu que ce soit ? – C’est bien, bien vrai que c’est le même ? — Eh oui, il n’y en a pas deux. » Auberi eut un grand soupir mélancolique et incrédule. « Vous voyez, je ne l’aurais jamais cru. » Puis, après un long silence, il ajouta, perplexe : « Comment se fait-il, alors, que cette femme française soit devenue païenne, quand le pays est si saint ?… Et puis – et puis, je vais vous dire : il paraît qu’il y a eu même des hommes qui ont fait ça, qui se sont fait circoncire, et tout, et qui sont maintenant comme des chiens, et qui adorent Mahomet – pas seulement des gens du pays, des Français aussi. Qu’est-ce que vous pensez de cela ? — Eh ! je ne suis pas né d’hier. Ces choses-là arrivent. Il y en a qui s’échappent et font pénitence après. On fait bien des choses, pour sauver sa peau. » Auberi réfléchissait, les poings sous le menton. «…Ils font pénitence après ? » répéta-t-il, étonné et songeur.
    Ils restèrent un long moment sans rien dire. « Il faut t’évader, Auberi, dit le vieux, à la

Weitere Kostenlose Bücher