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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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Jérusalem. Et ils se sentaient plus riches que les évêques et les seigneurs qui font le pèlerinage à cheval, avec valets et provisions. Plus d’un avait perdu un camarade en route, plus d’un n’était pas sûr de rentrer chez lui. Il faut être pauvre pour tout donner.
    In manibus portabunt te  – ne forte offendas ad lapidem pedem tuum
    Super aspidem et basiliscum ambulabis  – et conculcabis leonem et draconem .
    Quoniam in me speravit…
    Le plus jeune des moines éteignit les cierges, les soldats se levèrent, étirant leurs jambes engourdies. «  Ô du Herzliebster Herr Jesu. Du Seelenheil.  »
    Le petit enfant pleurait, de sa voix de crécelle, et sortait obstinément de ses langes ses petits bras élastiques. Il avait une tête allongée, des yeux graves d’oiseau. La mère le berçait, le cachant dans son manteau, et jetait des regards furtifs sur les moines, elle n’osait commencer la tétée avant d’avoir reçu la bénédiction.
    Assise par terre, la mère tenait des doigts, devant la bouche de l’enfant, le bout de son sein long et mou, d’une blancheur grisâtre. C’était une femme de trente ans passés, maigre, au beau visage nerveux ; de longs cheveux noirs et plats tombaient de dessous son fichu. L’enfant s’agrippait au sein de sa petite main rose. «  Du Minne, disait la femme. Du Minne.  » Pour elle, il n’y avait plus de Jérusalem à ce moment-là. Et, chose étrange, un silence s’était fait pour un instant, comme si les pleurs du bébé avaient aussi été un chant qu’il ne fallait pas troubler.
    Auberi s’était recouché par terre, à plat ventre, le menton dans les mains, et se sentait tout d’un coup étonné d’un contact de poils légers contre ses paumes, il n’y avait jamais pensé : avait-il donc tant vieilli que ça ? Une moustache quelque peu clairsemée couvrait sa lèvre supérieure, il la caressait rêveusement du bout de son doigt.
    Et il se répétait, comme une litanie, tous les noms que son maître lui avait fait apprendre par cœur avant son départ, tous les noms qu’il aurait à dire dans sa prière une fois qu’il serait devant le Saint-Sépulcre : Ansiau, Thierri, Garin, Garnier, Thibaut, encore Ansiau, encore Garin, André, Pierre, Aioul, Jacques, Jacques, Herbert, Aubert, Jean, Thibaut, Bernard, il y en avait bien encore une vingtaine, et il ne fallait pas en oublier un seul. Bertrand aussi, bien que le maître ne l’ait pas dit.
    Et il pensait que la vie était belle et qu’aucun mal ne lui arriverait plus, puisque demain il allait voir Jérusalem.
FRÈRE ERNAUT
    « Ô couronnement par les épines, le seul vrai. Père, me voilà libre, et le monde est à moi comme il est à vous. Qu’y a-t-il que je ne possède, à présent ? Je suis affranchi de tout ce qui limitait ma richesse. Mon nom, mes biens, mes amis, mes désirs. Les corbeaux des champs ne sont pas pauvres, ni les fleurs qui éparpillent leurs pétales sur la route – le vent n’est pas pauvre, lui qui emporte les fleurs et qui sème les graines où bon lui semble. Père, je suis votre héritier et tous vos domaines sont à moi.
    » Père, voilà, chacun de ces cierges qui brûlent devant votre autel est à moi et brûle dans mon cœur. Père, chacune de ces dalles où je pose mes pieds est à moi, cette pierre où j’use mes genoux est aussi mon corps – mon appui et mon soutien. Comme le pain que je mange, comme l’eau que je bois, votre monde m’est nourriture gagnée à la sueur de mon front. Père, je n’ai plus de péché, car voici, la pierre qui roule sur le flanc d’une montagne écrasant tout sur son passage ne tombe pas sans que vous l’ayez voulu. Et si telle est votre volonté d’autres peuvent prendre la pierre et la tailler pour en faire le support d’un pilier.
    » Père, donnez-moi d’être docile comme cette pierre, et comme cet arbre que j’abats, et comme cette hache que je tiens et qui frappe l’arbre, et comme ma main qui tient la hache. Ce que m’est cette main qui m’obéit sans même que j’y pense, que mon cœur le soit pour vous. »
    C’était un petit monastère de frères blancs, en montagne près d’Avallon, bâti au creux d’une vallée encore sauvage ; depuis dix ans les moines déboisaient, et défrichaient la terre et avaient déjà leur champ de seigle et leurs vignes et un petit troupeau de vaches qu’ils menaient paître en forêt. Les travaux de la terre n’attendent pas ; les bâtiments du

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