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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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il était vrai, comme vous le pensez, que les travaux avancent mieux sous vos ordres. Ce que Dieu demande de vous, ce n’est pas un travail bien fait qui vous remplit d’orgueil, mais l’obéissance et la charité. »
    « Eh quoi, pensait Haguenier, on me donne un travail à faire, et que je n’ai jamais fait de ma vie, et je le fais de mon mieux, et peut-on me reprocher de le faire trop bien ? Cette maison est la maison de Dieu et nous sommes là pour la construire. Si chacun ne fait pas ce qu’il peut – et Dieu sait que je ne fais déjà pas grand-chose – où en sera le couvent ? Le travail est si dur et nous sommes si peu, et voilà encore trois novices qui ont attrapé la fièvre et ne bougent pas de leur lit. »
    Peu s’en fallait qu’il ne reprochât pas au frère Izembard de ne pas se soucier des intérêts du couvent.
    « Mon Dieu, pensait-il, voilà que mon cœur s’attache partout où il trouve à s’attacher. J’aime cette maison, et cette église, et jusqu’à ces planches de bois qu’on scie dans la cour, et à ces clous qui servent à les clouer. Et à ces frères novices, Dieu le sait, que je n’ai pas le droit d’aimer autrement que comme vos serviteurs ; mais si nous n’avons pas le temps de faire les nouveaux bâtiments avant l’hiver, il y en aura qui tomberont malades de froid à dormir sur le sol nu. Ce n’est pas moi qui y aurais changé grand-chose, mais je n’y peux rien, ça va quand même plus vite quand je suis là.
    « Mon Dieu, pourquoi m’a-t-on élevé pour prendre soin d’autres hommes ? Il me semble que j’en suis responsable, alors que vous seul êtes responsable de nous tous . » Et il demanda au frère Izembard d’être envoyé aux travaux les plus vils, à ceux que faisaient les frères convers punis pour désobéissance – il voulait bien nettoyer les étables et les latrines ou transporter le fumier dans les champs. «  Restez là où vous êtes, avait dit le vieillard, c’est là que vous lutterez le mieux contre votre tentation. »
    Le frère André mit son rival au travail le plus dur. Du matin au soir Haguenier n’avait autre chose à faire qu’à frapper de la hache pour abattre le gros hêtre qui devait servir à faire les planches de la toiture. La hache était petite et usée et l’ouvrage n’avançait guère. Haguenier y mettait une ardeur qui allait jusqu’à la rage, il avait fini par identifier son hêtre avec tous ses péchés, toutes ses tentations qu’il fallait vaincre, et mal lui en prit, car ce fut lui le vaincu ; avant d’avoir coupé seulement la moitié du tronc, il eut une syncope, à vêpres, en entrant dans l’oratoire.
    On le crut mourant. Il n’y avait ni médecin ni remèdes au couvent ; et la mort d’un frère n’était guère considérée comme un malheur, si ce n’est comme perte d’une force de travail. Il y avait déjà quatorze tombes derrière le cloître et cinq dans la chapelle même. Un couvent se fonde sur ses morts aussi bien que sur ses frères vivants, et ceux qu’on nommait tous les jours à la chapelle, à vêpres, n’étaient pas des absents pour leurs camarades. La tombe du frère Ernaut fut creusée derrière le cloître, et son linceul préparé, et les frères qui le veillaient récitaient les prières des mourants. Lui-même paraissait comme absent, mais gardait assez de conscience pour répondre amen là où il le fallait. Dans ses souffrances, il fit preuve d’une grande douceur et d’une indifférence à lui-même qui impressionnèrent jusqu’au prieur, qui ne l’aimait pas. Puis, contre toute attente, il alla mieux et les frères novices, les plus jeunes surtout, parlèrent de miracle. Car ils avaient soif de miracles, non par vanité, mais par amour pour leur communauté si neuve et encore si pauvre, et dont ils étaient si fiers.
    Le frère Ernaut se trouva donc, sur son lit de douleur, l’objet d’une estime qu’il n’avait ni cherchée ni méritée ; ses camarades affirmaient avoir vu son visage devenir lumineux au moment où le père prieur avait approché le crucifix de ses lèvres. C’était vrai. Mais lui-même n’en savait rien. Et il était tenté d’accuser ses frères de manque de bon sens et de frivolité. Car il était surtout très honteux de sa maladie.
    Dès qu’il fut assez fort pour lever les bras, il supplia le maître des novices de lui confier un travail quelconque, des écritures, ou des comptes à faire. Il assistait aux offices,

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