La pierre et le sabre
acceptait des pensionnaires,
elle répondit en riant :
— A vrai dire, je suis veuve – mon
mari était un acteur de Nō du nom de Kanze –, et j’ai peur de rester
sans un homme à la maison, avec tous ces rōnins grossiers dans les
parages.
Ensuite, elle expliqua que les
rues avaient beau fourmiller de débits de boissons et de prostituées, bon
nombre de samouraïs indigents ne se contentaient pas de ces distractions. Ils
soutiraient des renseignements à la jeunesse locale, et s’attaquaient aux
maisons où il n’y avait pas d’homme. Ils appelaient cela « aller voir les
veuves ».
— En d’autres termes, dit
Musashi, vous prenez des gens comme moi pour vous servir de gardes du corps ;
je me trompe ?
— Mon Dieu, répondit-elle en
souriant, comme je vous l’ai dit, il n’y a pas d’homme à la maison. Croyez bien
que vous êtes libre de rester aussi longtemps que vous le voudrez.
— Je vous comprends
parfaitement. J’espère que vous vous sentirez en sécurité tant que je serai là.
Je n’ai qu’une seule demande à vous faire. J’attends un visiteur ; aussi,
auriez-vous l’obligeance de mettre à la porte une pancarte avec mon nom dessus ?
La veuve, ravie de faire savoir qu’elle
avait un homme chez elle, inscrivit « Miyamoto Musashi » sur une
bande de papier qu’elle colla au montant du portail.
Jōtarō ne parut pas ce
jour-là ; mais le lendemain, Musashi reçut la visite de trois samouraïs.
Bousculant la servante qui protestait, ils grimpèrent droit à sa chambre.
Musashi vit aussitôt qu’ils étaient de ceux qui se trouvaient présents au Hōzōin
lorsqu’il avait tué Agon. Assis autour de lui comme des amis de toujours, ils
se mirent à l’accabler de flatteries.
— Je n’ai jamais rien vu de
pareil, disait l’un. Je suis sûr qu’il ne s’est jamais rien produit de tel au Hōzōin.
Pensez donc ! Un visiteur inconnu arrive et, sans crier gare, abat l’un
des « sept piliers ». Et pas n’importe lequel : le terrifiant
Agon en personne. Un seul gémissement, et il crache le sang. On ne voit pas
souvent des spectacles comme celui-là !
Un autre continua dans la même
veine :
— Tout le monde en parle.
Tous les rōnins se demandent qui peut bien être au juste ce Miyamoto
Musashi. Mauvaise journée pour la réputation du Hōzōin.
— Comment, mais vous devez
être la plus fine lame du pays !
— Et si jeune, avec ça !
— Ça ne fait aucun doute. Et
vous deviendrez encore meilleur avec le temps.
— Puis-je vous demander
comment il se fait qu’avec tous vos talents vous ne soyez que rōnin ?
C’est un gaspillage de talents que de n’être pas au service d’un daimyō !
Ils se turent, juste le temps d’ingurgiter
du thé et de dévorer des gâteaux avec entrain, tout en couvrant de miettes
leurs genoux et le plancher.
Musashi, gêné par l’extravagance
de leurs éloges, promenait les yeux de droite à gauche et de gauche à droite.
Durant quelque temps, il écouta, le visage impassible, en se disant que tôt ou
tard ils perdraient leur élan. Comme ils ne paraissaient pas vouloir changer de
sujet, il prit l’initiative en leur demandant leurs noms.
— Oh ! excusez-moi. Je
suis Yamazoe Dampachi. J’étais au service du seigneur Gamō, dit le
premier.
— Je suis Otomo Banryū,
dit son voisin. J’ai acquis la maîtrise du style Bokuden, et j’ai des tas de
projets d’avenir.
— Je suis Yasukawa Yasubei,
fit le troisième avec un petit rire, et je n’ai jamais été que rōnin,
comme avant moi mon père.
Musashi se demandait pourquoi ils
perdaient leur temps et le sien à parler pour ne rien dire. Comme il devenait
clair qu’il ne le saurait pas sans les interroger, lorsqu’il y eut une nouvelle
pause dans la conversation il dit :
— Je suppose que vous êtes
venus pour une raison précise.
Ils feignirent la surprise à cette
simple hypothèse, mais reconnurent bientôt qu’ils étaient venus accomplir ce qu’ils
considéraient comme une mission très importante. Yasubei s’avança vivement, et
dit :
— A la vérité, nous venons en
effet pour une raison précise. Voyez-vous, nous nous proposons d’organiser un « divertissement »
public au pied du mont Kasuga, et nous voulions vous en parler. Il ne s’agit
pas d’une pièce ou de quoi que ce soit de ce genre. Nous pensons à une série d’affrontements
qui informeraient les gens sur les arts martiaux, et en même temps
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