La pierre et le sabre
dressa, les mains et
la poitrine ensanglantées, criant :
— Des médicaments !
Apportez les médicaments. Vite !
— Vous n’aurez pas besoin de
médicaments.
C’était le vieux, entré par la
grande porte, et qui ne fut pas long à comprendre ce qui se passait. Il prit
une expression revêche.
— ... Si j’avais cru que des
médicaments le sauveraient, je n’aurais pas tenté de l’arrêter. L’imbécile !
Nul ne prêtait la moindre
attention à Musashi. Pour faire quelque chose, il se rendit à la grande porte
et commença de mettre ses sandales.
Le vieux le suivit.
— Hé là, vous ! dit-il.
Musashi répondit par-dessus son
épaule :
— Oui ?
— Je voudrais avoir une
petite conversation avec vous. Rentrez.
Il mena Musashi à une pièce située
derrière la salle d’entraînement : une simple cellule carrée, dont la
seule ouverture pratiquée était la porte.
Une fois qu’ils furent assis, le
vieux déclara :
— ... Il serait plus
convenable que l’abbé vînt vous saluer mais il est en voyage, et ne reviendra
pas avant deux ou trois jours. Je le représenterai donc.
— C’est fort aimable à vous,
dit Musashi en inclinant la tête. Je vous remercie du bon entraînement que j’ai
reçu aujourd’hui, mais je dois vous présenter mes excuses pour la façon malheureuse
dont cela s’est terminé...
— A quoi bon ? C’est la
vie. Il faut être prêt à accepter cela avant de combattre. Ne vous tracassez
pas.
— Comment vont les blessures
d’Agon ?
— Il est mort sur le coup,
dit le vieux.
Le souffle de ses paroles
atteignit comme un vent glacé le visage de Musashi.
— Il est mort ?
Il se dit à lui-même : « Alors,
ça recommence ! » Encore une existence tranchée par son sabre de
bois. Il ferma les yeux, et dans son cœur invoqua le nom du Bouddha comme il l’avait
fait dans le passé en de semblables circonstances.
— Jeune homme !
— Oui, monsieur.
— Vous vous nommez bien
Miyamoto Musashi ?
— Oui.
— Sous la direction de qui
avez-vous étudié les arts martiaux ?
— Je n’ai pas eu de maître au
sens ordinaire du terme. Mon père m’a enseigné l’usage du bâton quand j’étais
petit. Depuis, j’ai emprunté un certain nombre d’éléments à des samouraïs plus
âgés dans diverses provinces. J’ai aussi passé quelque temps à parcourir la
campagne ; je considère que les monts et les fleuves ont été mes maîtres,
eux aussi.
— Vous semblez avoir l’attitude
qu’il faut. Mais vous êtes si fort ! Beaucoup trop fort !
Prenant cela pour un compliment,
Musashi rougit et dit :
— Oh ! non ! Je ne
suis pas encore au point. Je n’arrête pas de commettre des erreurs.
— Ce n’est pas ce que je
voulais dire. Votre force constitue votre défaut. Il faut apprendre à la
dominer, devenir plus faible.
— Plaît-il ? demanda
Musashi, perplexe.
— Rappelez-vous qu’il y a peu
de temps vous avez traversé le jardin potager, où je travaillais.
— Oui.
— En me voyant, vous vous
êtes écarté d’un bond, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Pourquoi donc avez-vous
fait cela ?
— Mon Dieu, je ne sais
pourquoi je me figurais que vous risquiez d’utiliser votre houe comme une arme
pour m’en frapper les jambes. Et puis, votre attention avait beau paraître concentrée
sur la terre, je sentais que vos yeux me transperçaient le corps entier. Je
sentais dans ce regard quelque chose de meurtrier, comme si vous cherchiez mon
point faible... pour l’attaquer.
Le vieux se mit à rire.
— C’était le contraire. Quand
vous étiez encore à quinze mètres de moi, j’ai senti dans l’atmosphère ce que
vous appelez « quelque chose de meurtrier ». Je l’ai senti au bout de
ma houe... voilà à quel point votre humeur combative et votre ambition se
manifestent dans chacun de vos actes. Je savais que je devais être prêt à me
défendre... Si l’un des paysans du coin était passé près de moi, je n’aurais
pas été moi-même plus qu’un vieil homme en train de cultiver ses légumes.
Certes, vous avez senti de l’agressivité en moi, mais ce n’était qu’un reflet
de la vôtre.
Musashi avait donc eu raison de
penser, avant même leur premier échange de paroles, qu’il ne s’agissait pas là
d’un homme ordinaire. Il éprouvait maintenant de manière aiguë le sentiment que
le prêtre était le maître, et lui l’élève. Son attitude envers le vieillard au
dos
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