La pierre et le sabre
chien : et même, selon toute vraisemblance
il avait espéré des compliments pour sa vaillante conduite. Il restait sur ses
positions, bien résolu à ne pas céder.
— Ferme ta gueule, insolent !
criait le garde. Ça m’est égal, que tu ne sois qu’un gosse. Tu es assez grand
pour connaître la différence entre un chien et un être humain. Quelle idée :
se venger d’une bête !
Il saisit au collet Jōtarō,
regarda la foule en quête d’approbation, et déclara qu’il était de son devoir
de châtier l’assassin du chien. La foule acquiesça de la tête en silence. Les
quatre hommes qui venaient de recevoir Musashi paraissaient désolés, mais ils
se turent.
— ... Aboie, mon garçon !
Aboie comme un chien ! cria le garde.
Il fit tournoyer Jōtarō
qu’il tenait au collet, et avec un regard noir le jeta par terre. Il empoigna
un bâton de chêne et le brandit au-dessus de sa tête, prêt à frapper.
— ... Tu as tué le chien,
espèce de petit chenapan. Maintenant, à ton tour ! Debout, que je puisse
te tuer ! Aboie ! Mords-moi !
Les mâchoires serrées, Jōtarō
s’appuya sur un bras et se leva péniblement, son sabre de bois à la main. Il
ressemblait toujours à un lutin mais sa physionomie n’avait rien d’enfantin, et
le hurlement qui sortit de sa gorge était d’une sauvagerie à donner le frisson.
Lorsqu’un adulte se met en colère,
il le regrette souvent ensuite ; mais lorsqu’un enfant se met en colère,
pas même la mère qui l’a mis au monde ne saurait le calmer.
— Tuez-moi ! cria-t-il.
Allez-y, tuez-moi !
— Eh bien, meurs !
tempêta le garde, qui frappa.
Le coup aurait tué l’enfant s’il
était parvenu à destination, mais il n’y parvint pas. Un craquement sec
retentit aux oreilles de l’assistance, et le sabre de bois de Jōtarō
vola dans les airs. Sans réfléchir, il avait paré le coup du garde.
Désarmé, il ferma les yeux et
chargea aveuglément l’ennemi au creux de l’estomac ; il saisit entre ses
dents l’obi de l’homme. Ainsi cramponné de toutes ses forces, il enfonça les
ongles à l’aine du garde, tandis que ce dernier faisait de vains moulinets avec
son gourdin.
Musashi était demeuré silencieux,
les bras croisés, le visage impassible ; mais voici qu’un autre bâton de
chêne apparut. Un second homme s’était élancé dans l’arène, sur le point d’attaquer
Jōtarō par-derrière. Musashi passa à l’action. Il décroisa les bras,
et en un rien de temps se fraya un chemin à travers l’épaisse muraille humaine,
jusque dans l’arène.
— Lâche ! cria-t-il au
deuxième homme.
Un bâton de chêne et deux jambes
décrivirent en l’air un arc de cercle, et vinrent reposer en tas à environ
quatre mètres de là.
— ... Et maintenant, à toi,
espèce de petit démon ! vociféra Musashi.
Il empoigna des deux mains l’obi
de Jōtarō, souleva l’enfant au-dessus de sa tête, et le tint là. Se
tournant vers le garde, qui reprenait son gourdin, il déclara :
— ... J’ai observé la scène
depuis le début, et je crois que vous vous y prenez mal. Ce garçon est mon
serviteur, et si vous désirez l’interroger, il faut m’interroger aussi.
— Eh bien, soit, répondit le
garde, furibond. Nous vous interrogerons tous les deux.
— Bon ! Nous nous
chargeons de vous tous les deux. Et maintenant, voici le garçon !
Il jeta Jōtarō droit sur
l’homme. La foule haletante recula, épouvantée. Cet homme était-il fou ?
A-t-on jamais vu un être humain tenir lieu d’arme contre un autre être humain ?
Le garde écarquilla des yeux
incrédules tandis que Jōtarō volait à travers les airs et venait
heurter sa poitrine. L’homme tomba en arrière, comme si l’on venait d’enlever
soudain un étai qui l’avait maintenu debout. Difficile de dire si sa tête avait
heurté une pierre, ou si ses côtes étaient brisées. Tombé en hurlant, il se mit
à vomir le sang. Jōtarō rebondit de la poitrine de l’homme, exécuta
en l’air un saut périlleux, et roula comme un ballon à plusieurs mètres de
distance.
— Vous avez vu ? cria
quelqu’un.
— Qu’est-ce que c’est que ce rōnin
fou ?
La bagarre ne concernait plus
seulement le gardien du chien ; les autres samouraïs se mirent à injurier
Musashi. La plupart d’entre eux ignoraient que celui-ci était un invité, et plusieurs
proposèrent de le tuer sur-le-champ.
— Allons, dit Musashi,
écoutez, tous !
Ils le
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