La pierre et le sabre
l’impuissance, il regardait la foule s’agiter autour d’eux.
— ... Je doute que ça vous
avance à grand-chose, dit le marchand de saké, mais vous pourriez essayer de
demander là-bas, à la baraque du magicien. La vermine locale se rassemble souvent
derrière pour jouer. Si Yasoma s’est procuré de l’argent, il se peut qu’il
essaie d’arrondir la somme.
— Merci, dit Matahachi en se
levant d’un bond, tout excité. Laquelle est la baraque du magicien ?
L’enceinte que désignait l’homme
était entourée par une clôture en poteaux de bambou pointus. Dehors, à l’entrée,
des bonimenteurs battaient le rappel, et des drapeaux suspendus près du portail
en bois annonçaient les noms de plusieurs prestidigitateurs célèbres. De l’intérieur
des rideaux et des nattes de paille qui tapissaient la clôture venait le son d’une
musique étrange, mêlée au piétinement rapide et bruyant des artistes, et aux
applaudissements du public.
Ayant fait le tour jusqu’à l’arrière,
Matahachi trouva un autre portail. Comme il jetait un coup d’œil à l’intérieur,
un guetteur demanda :
— Tu viens pour jouer ?
Il fit signe que oui, et l’homme
le laissa entrer. Il se trouva dans un espace entouré de toiles de tente, mais
à claire-voie au sommet. Une vingtaine d’hommes, tous de type peu recommandable,
étaient assis en cercle à jouer. Tous les regards se tournèrent vers Matahachi,
et un homme lui fit place en silence.
— Est-ce qu’Akakabe Yasoma
est là ? demanda-t-il.
— Yasoma ? répéta un
joueur d’un ton perplexe. Il n’est pas venu ces temps-ci. Pourquoi donc ?
— Vous croyez qu’il viendra
plus tard ?
— Est-ce que je sais ?
Assieds-toi et joue.
— Je ne suis pas venu pour
jouer.
— Qu’est-ce que tu fais ici,
si tu ne veux pas jouer ?
— Je cherche Yasoma. Pardon
de vous déranger.
— Eh bien, pourquoi ne pas
aller le chercher ailleurs ?
— Je vous ai demandé pardon
de vous avoir dérangé, dit Matahachi en se retirant précipitamment.
— Un instant, là-bas !
ordonna l’un des joueurs, qui se leva pour le suivre. Tu ne t’en tireras pas
avec de simples excuses. Même si tu ne joues pas, tu paieras ta place !
— Je n’ai pas d’argent.
— Pas d’argent ! Je
vois. Alors, on guette l’occasion de chaparder un peu, n’est-ce pas ? Un
sale voleur, voilà ce que tu es.
— Je ne suis pas un voleur !
Vous allez retirer ce mot !
Matahachi fit mine de dégainer, ce
qui ne réussit qu’à amuser le joueur.
— Imbécile ! aboya-t-il.
Si les menaces de tes pareils me faisaient peur, je ne pourrais survivre un
seul jour à Osaka. Sers-toi de ton sabre, si tu l’oses !
— Prenez garde, je suis
sérieux !
— Ah ! vraiment ?
Vraiment ?
— Vous savez qui je suis ?
— Comment le saurais-je ?
— Je suis Sasaki Kojirō,
successeur de Toda Seigen, du village de Jōkyōji à Echizen. C’est le
créateur du style Tomita, proféra fièrement Matahachi, croyant que cette
déclaration suffirait à mettre l’homme en fuite.
Ce ne fut pas le cas. Le joueur
cracha par terre, et retourna dans l’enceinte.
— Holà, venez donc voir, vous
tous ! Ce type vient de s’appeler par un drôle de nom ; paraît
vouloir tirer l’épée contre nous. Voyons son adresse. Ça doit être drôle.
Matahachi, voyant que l’homme ne
se méfiait pas, tira brusquement son sabre et lui piqua le derrière. L’homme
sauta en l’air.
— Espèce de salaud !
cria-t-il.
Matahachi plongea dans la foule.
En se faufilant de groupe en groupe, il parvint à rester caché mais chaque
visage qu’il voyait lui évoquait l’un des joueurs. Se rendant compte qu’il ne
pourrait se cacher ainsi éternellement, il regarda autour de lui en quête d’un
abri plus substantiel.
Juste en face de lui, drapé sur
une clôture en bambou se trouvait un rideau avec un gros tigre peint dessus. Il
y avait également sur le portail une bannière où figuraient un javelot fourchu
et un cimier en œil de serpent, ainsi qu’un bonimenteur, debout sur une caisse
vide, criant d’une voix enrouée :
— Venez voir le tigre !
Entrez voir le tigre ! Offrez-vous un voyage de quinze cents kilomètres !
Mes amis, cet énorme tigre a été capturé en Corée par le grand général
Katō Kiyomasa lui-même. Ne manquez pas le tigre !
Il débitait son boniment à un rythme
frénétique.
Matahachi jeta par terre une pièce
de monnaie et se
Weitere Kostenlose Bücher