La pierre et le sabre
ce que je te demande, c’est de te taire et de t’occuper de tes
propres affaires !... Matahachi, ingrat... je vais t’apprendre !...
On dit qu’en vieillissant, les gens
deviennent de plus en plus simples et directs ; à voir Osugi, l’on ne
pouvait s’empêcher d’être d’accord. En un moment où d’autres mères eussent
peut-être pleuré de joie, Osugi bouillait de fureur. Elle força Matahachi à se
coucher par terre, et lui frappa la tête contre le sol.
— ... En voilà, une idée !
Fuir ta propre mère ! Tu n’es pas né de la fourche d’un arbre, espèce de
paltoquet... tu es mon fils !
Et elle entreprit de le fesser
comme s’il eût encore été un enfant.
— ... Je ne croyais pas que
tu pouvais être en vie, et te voilà en train de traîner à Osaka ! C’est
une honte ! Espèce de bon à rien effronté... Pourquoi n’es-tu pas venu à
la maison présenter à tes ancêtres les respects qui leur sont dus ?
Pourquoi n’as-tu même pas une seule fois montré ta figure à ta vieille mère ?
Tu ne savais donc pas que ta famille entière était malade d’inquiétude à ton
sujet ?
— Je t’en prie, maman,
suppliait Matahachi en pleurant comme un bébé. Pardonne-moi. Je t’en prie,
pardonne-moi ! Je regrette. Je sais bien que j’ai eu tort. C’est parce que
je savais que j’avais mal agi envers toi que je ne pouvais rentrer à la maison.
Je ne voulais pas vraiment te fuir. J’étais si étonné de te voir que je me suis
mis à courir sans réfléchir. J’avais tellement honte de la façon dont j’avais
vécu que je ne pouvais pas vous regarder en face, toi et l’oncle Gon.
Il se couvrait le visage avec les
mains. Le nez d’Osugi se plissa, et elle aussi commença de gémir ; mais
presque aussitôt elle s’arrêta. Trop fière pour montrer de la faiblesse, elle
renouvela son attaque en disant d’un ton sarcastique :
— Si tu as tellement honte de
toi-même et si tu crois avoir déshonoré tes ancêtres, alors tu dois vraiment t’être
mal conduit durant tout ce temps.
L’oncle Gon, incapable de se
contenir, intervint :
— En voilà assez. Si tu
continues comme ça, tu vas sûrement le blesser.
— Je t’ai dit de garder pour
toi tes conseils. Tu es un homme ; tu ne devrais pas être aussi mou. Etant
sa mère, je dois être tout aussi sévère que son père le serait s’il vivait
encore. Je me charge de la punition, et ce n’est pas encore fini !...
Matahachi ! Tiens-toi droit ! Regarde-moi en face.
Elle s’assit par terre
cérémonieusement, et désigna l’endroit où il devait s’asseoir.
— Oui, maman, répondit-il,
soumis, en redressant ses épaules maculées de boue et en s’agenouillant.
Il avait peur de sa mère. Elle
pouvait parfois se montrer indulgente, mais sa propension à soulever la
question des devoirs de son fils envers ses ancêtres le mettait mal à l’aise.
— Je t’interdis formellement
de me cacher quoi que ce soit, dit Osugi. Et maintenant, qu’as-tu fait au juste
depuis ton départ en cachette pour Sekigahara ? Raconte, et ne t’arrête
que lorsque j’aurai entendu tout ce que je veux entendre.
— Ne t’inquiète pas, je ne
garderai rien pour moi, commença-t-il, car il avait perdu le désir de lutter.
Fidèle à sa promesse, il raconta
toute l’histoire en détail : comment il était réchappé de Sekigahara,
comment il s’était caché à Ibuki, comment Okō l’avait entortillé, comment
il avait vécu à ses crochets – à son corps défendant – plusieurs
années. Et comment il regrettait maintenant ce qu’il avait fait. Cela le
soulagea comme de vomir, et il se sentit beaucoup mieux après sa confession.
— Hum... marmonnait de temps
en temps l’oncle Gon.
Osugi fit claquer sa langue et dit :
— Je suis choquée de ta
conduite. Et que fais-tu maintenant ? Tu parais en mesure de t’habiller
comme il faut. As-tu trouvé une situation où tu es convenablement payé ?
— Oui, répondit Matahachi.
Cette réponse lui avait échappé
sans réfléchir, et il se hâta de rectifier :
— C’est-à-dire non, je n’ai
pas de situation.
— Alors, de quoi vis-tu ?
— De mon sabre : j’enseigne
l’escrime.
Sa façon de répondre cela sonnait
vrai, et eut l’effet désiré.
— Tiens, tiens, fit Osugi avec
un intérêt manifeste.
Pour la première fois, une lueur
de bonne humeur éclaira son visage.
— ... L’escrime, dis-tu ?
Eh bien, ça ne me surprend
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