La pierre et le sabre
précipita à l’intérieur. Se sentant relativement en sécurité,
il chercha des yeux le fauve. A l’autre bout de la tente, une vaste peau de
tigre se trouvait tendue comme du linge que l’on eût mis à sécher sur un
panneau de bois. Les spectateurs la contemplaient avec une vive curiosité,
apparemment insensibles au fait que l’animal n’était ni entier ni vivant.
— Alors, voilà donc à quoi
ressemble un tigre, dit un homme.
— C’est gros, n’est-ce pas ?
s’émerveilla un autre.
Debout d’un côté de la peau de
tigre, Matahachi remarqua soudain un vieil homme et une vieille femme ; au
son de leurs voix, il dressa l’oreille, incrédule.
— Oncle Gon, disait la femme,
ce tigre-là est mort, n’est-ce pas ?
Le vieux samouraï, tendant la main
par-dessus la balustrade en bambou pour tâter la peau, répondit gravement :
— Bien sûr, qu’il est mort.
Ce n’est que sa dépouille.
— Mais l’homme, au-dehors, en
parlait comme s’il était vivant.
— Mon Dieu, peut-être est-ce
là ce qu’on appelle parler un peu vite, dit-il avec un petit rire.
Osugi ne prenait pas la chose
aussi à la légère. Pinçant les lèvres, elle protesta :
— Ne sois pas stupide !
S’il n’est pas réel, l’enseigne, dehors, devrait le dire. Autant regarder l’image
d’un tigre. Allons-nous faire rembourser.
— Pas de scène, grand-mère.
Les gens vont se moquer de toi.
— Tant pis. Je n’ai pas de
ces fiertés. Si tu ne veux pas y aller, j’irai moi-même.
Comme elle se mettait à jouer des
coudes pour remonter la file des spectateurs, Matahachi baissa la tête, mais
trop tard. Déjà l’oncle Gon l’avait reconnu.
— Hé, là-bas, Matahachi !
C’est toi ? cria-t-il.
Osugi, dont les yeux n’étaient pas
trop bons, bégaya :
— Qu’est... qu’est-ce que tu
dis, oncle Gon ?
— Tu n’as donc pas vu ?
Matahachi était là, juste derrière toi.
— Pas possible !
— Il était là mais il s’est
enfui.
— Où ça ? De quel côté ?
Tous deux sortirent en trombe par
le portail de bois dans la foule. Matahachi ne cessait de se cogner aux gens,
mais se dégageait et reprenait sa course.
— ... Attends, mon fils,
attends ! criait Osugi.
Jetant un coup d’œil en arrière,
Matahachi vit sa mère qui le poursuivait comme une folle. L’oncle Gon agitait
frénétiquement les mains, lui aussi.
— Matahachi ! criait-il.
Pourquoi t’enfuis-tu ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Matahachi !
Matahachi !
Voyant qu’elle ne pourrait le
rattraper, Osugi tendit son cou ridé, et cria de toutes ses forces :
— Arrêtez-le ! Au voleur !
Aussitôt, une bande de badauds se
joignit à la chasse, et les premiers tombèrent bientôt sur Matahachi avec des
pieux de bambou.
— Tenez-le bien !
— Le chenapan !
— Rossez-le d’importance !
La populace accula Matahachi ;
certains allèrent jusqu’à lui cracher dessus. Arrivant avec l’oncle Gon, Osugi
vit ce qui se passait, et se retourna furieusement contre les assaillants de
Matahachi. Elle les repoussa, empoigna son petit sabre et montra les crocs.
— Qu’est-ce que vous faites ?
s’écria-t-elle. Pourquoi vous attaquez-vous à cet homme ?
— C’est un voleur !
— Pas du tout ! C’est
mon fils.
— Votre fils ?
— Oui, mon fils, le fils d’un
samouraï, et vous n’avez pas le droit de le battre. Vous n’êtes que des
bourgeois ordinaires. Si vous le touchez, je... je me battrai contre vous tous !
— Vous plaisantez ? Qui
donc criait « au voleur », il y a une minute ?
— Oui, c’était moi, je ne le
nie pas. Je suis une mère aimante, et je me suis dit que si je criais « au
voleur », mon fils s’arrêterait de courir. Mais qui vous a demandé de le
frapper, espèces de bons à rien stupides ? C’est une honte !
Etonnée par sa volte-face, mais
admirant son courage, la foule se dispersa lentement. Osugi saisit au collet
son fils rebelle, et l’entraîna dans le parc d’un sanctuaire proche. Après
avoir, de la porte du sanctuaire, assisté à la scène durant quelques minutes, l’oncle
Gon s’avança et dit :
— Grand-mère, il ne faut pas
traiter Matahachi comme ça. Ce n’est plus un enfant.
Il essaya de lui faire lâcher le
col de Matahachi, mais la vieille l’écarta rudement d’un coup de coude.
— Toi, ne t’en mêle pas !
C’est mon fils, et je le punirai comme je l’entends, sans avoir besoin de ton
aide. Tout
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