La pierre et le sabre
pas vraiment que mon fils trouve le temps de s’exercer
à l’escrime – même s’il mène le genre de vie que tu as menée. Tu entends
ça, oncle Gon ? C’est mon fils, après tout.
L’oncle Gon acquiesça du chef avec
enthousiasme, heureux de voir la vieille femme de meilleure humeur.
— Nous aurions dû nous en
douter, dit-il. Ça montre que le sang de ses ancêtres Hon’iden coule bien dans
ses veines. Alors, qu’importe qu’il se soit égaré quelque temps ? Il saute
aux yeux qu’il a l’esprit qu’il faut.
— Matahachi, fit Osugi.
— Oui, maman.
— Ici, dans cette région,
auprès de qui as-tu étudié l’escrime ?
— Kanemaki Jisai.
— Ah ? Mais il est
illustre !
Osugi avait sur le visage une
expression de bonheur. Matahachi, désireux de lui plaire encore davantage,
sortit le certificat et le déroula, en prenant soin de couvrir avec son pouce
le nom de Sasaki.
— Regarde ça, dit-il.
— Laisse-moi voir, dit Osugi,
la main tendue vers le rouleau, mais Matahachi s’y cramponnait fermement.
— Tu vois bien, maman, que tu
n’as pas à t’inquiéter pour moi.
Elle approuva de la tête.
— Mais oui, c’est bien. Oncle
Gon, regarde-moi ça. N’est-ce pas magnifique ? Je me suis toujours dit,
même quand Matahachi n’était encore qu’un bébé, qu’il était plus adroit et plus
capable que Takezō et les autres garçons.
Dans l’excès de sa joie, elle se
mit à postillonner en parlant. A cet instant, la main de Matahachi glissa, et
le nom inscrit sur le rouleau devint visible.
— ... Un moment, dit Osugi.
Pourquoi donc y a-t-il marqué « Sasaki Kojirō » ?
— Oh ! ça ? Eh
bien... euh... c’est mon nom de guerre.
— Ton nom de guerre ? Qu’as-tu
besoin de ça ? Hon’iden Matahachi n’est donc pas assez bon pour toi ?
— Si, très bon !
répondit Matahachi dont l’esprit travaillait à toute vitesse. Mais à la
réflexion, j’ai décidé de ne pas me servir de mon propre nom. Etant donné mon
passé honteux, je craignais de déshonorer nos ancêtres.
— Je vois. C’était logique,
je suppose... Eh bien, je crois que tu ignores tout de ce qui s’est passé au
village, aussi vais-je te le dire. Et maintenant, écoute-moi bien ; c’est
important.
Osugi se lança dans un compte
rendu haut en couleur des événements survenus à Miyamoto, en choisissant ses
mots de manière à pousser Matahachi à l’action. Elle exposa comment la famille
Hon’iden avait été insultée, comment depuis des années elle-même et l’oncle Gon
recherchaient Otsū et Takezō. Elle avait beau s’efforcer de rester
impassible, elle se laissait emporter par son histoire ; ses yeux se
mouillaient et sa voix devenait rauque.
La vivacité de sa narration frappa
Matahachi, qui l’écoutait en inclinant la tête. En des moments comme celui-ci,
il n’avait aucune peine à être un bon fils bien obéissant ; mais tandis
que sa mère se souciait surtout de l’honneur familial et de l’esprit samouraï,
c’était autre chose qui l’émouvait, lui, le plus profondément : si Osugi
disait vrai, Otsū n’aimait plus Matahachi. C’était la première fois qu’il
entendait une chose pareille.
— Est-ce possible ?
demanda-t-il.
Osugi, voyant son fils changer de
couleur, en tira la conclusion erronée que son cours sur l’honneur et le
courage avait porté.
— Si tu ne me crois pas,
dit-elle, demande à l’oncle Gon. Cette dévergondée t’a trahi pour s’enfuir avec
Takezō. D’un autre point de vue, on peut dire que Takezō, sachant que
tu ne reviendrais pas tout de suite, a incité Otsū à partir avec lui. Pas
vrai, oncle Gon ?
— Si. Quand Takezō se
trouvait ligoté dans l’arbre, il a obtenu d’Otsū qu’elle l’aide à s’enfuir,
et tous deux ont filé ensemble. Tout le monde disait qu’il devait y avoir
quelque chose entre eux.
Cela outra Matahachi, et lui
inspira un surcroît d’aversion à l’égard de son ami d’enfance. Le sentant, sa
mère mit de l’huile sur le feu :
— Comprends-tu, maintenant,
Matahachi ? Comprends-tu pourquoi nous avons quitté le village, l’oncle
Gon et moi ? Nous allons nous venger de ces deux-là. Tant que je ne les
aurai pas tués, jamais je ne pourrai reparaître au village, ni devant les
plaques commémoratives de nos ancêtres.
— Je comprends.
— Et ne vois-tu pas que sans
cette vengeance, tu ne peux retourner à Miyamoto non plus ?
— Je n’y retournerai
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