La pierre et le sabre
d’être trop fort. Après son combat avec Denshichirō,
son corps et son âme avaient été trop tendus. Ces deux derniers jours, il s’était
laissé aller, il avait permis à son esprit de se déployer. Il avait bu un peu,
il s’était assoupi quand il en avait envie, il avait lu, fait un peu de
peinture, il avait bâillé et s’était étiré à loisir. Prendre du repos avait été
d’une immense valeur, et il avait décrété qu’il était important, qu’il
continuerait d’être important d’avoir de temps en temps deux ou trois jours de
loisir total.
Debout dans le jardin à regarder
les lumières et les ombres des salons de la façade, il pensait : « Je
dois un mot de remerciement à Yoshino Dayū pour tout ce qu’elle a fait. »
Mais il changea d’avis. Il entendait le son des shamisens et les chants
éraillés des clients. Il ne voyait aucun moyen de se faufiler à l’intérieur
pour parler à la jeune femme. Mieux valait la remercier dans son cœur en
espérant qu’elle comprendrait. Il s’inclina devant la façade, et s’éloigna.
Dehors, il fit signe à Jōtarō.
Tandis que l’enfant accourait, il entendit Rin’ya qui venait avec un mot de
Yoshino. Elle le glissa dans la main de Musashi, et repartit.
La feuille de papier était petite
et d’une couleur merveilleuse. Comme il la développait, l’odeur du bois d’aloès
lui monta aux narines. Le message disait : « Plus mémorable que les
malheureuses fleurs qui se fanent et se désintègrent nuit après nuit est la
lune à travers les arbres. Bien qu’ils rient tandis que je pleure dans la coupe
d’un autre, je vous envoie cet unique mot en souvenir. »
— De qui est ce billet ?
demanda Jōtarō.
— De personne en particulier.
— D’une femme ?
— Qu’est-ce que ça peut te
faire ?
— Qu’est-ce qu’il y a d’écrit ?
— Ça ne te regarde pas.
Musashi replia le papier. Jōtarō
se pencha vers lui en disant :
— Ça sent bon. C’est du bois
d’aloès.
La porte
Jōtarō se disait que
leur tâche suivante serait de sortir du quartier sans être remarqués.
— Aller par là nous mènera à
la porte principale, dit-il. Ce serait dangereux.
— Hum...
— Il doit y avoir un autre
moyen de sortir.
— Toutes les entrées ne sont-elles
pas fermées la nuit, excepté la principale ?
— Nous pourrions grimper au
mur.
— Ce serait lâche. J’ai le
sens de l’honneur, tu sais, ainsi qu’une réputation à soutenir. Je sortirai
droit par la grande porte, au bon moment.
— Vous ferez ça !
Quoique mal à son aise, l’enfant
ne discuta pas car il savait bien que suivant les règles de la classe
militaire, un homme sans fierté ne valait rien.
— Naturellement, répliqua
Musashi. Mais pas toi. Tu es encore un enfant. Tu peux sortir par un moyen plus
sûr.
— Comment ça ?
— En sautant le mur.
— Tout seul ?
— Tout seul.
— Impossible.
— Pourquoi ?
— On me traiterait de lâche.
— Ne fais pas l’idiot. Ils
sont après moi, pas après toi.
— Mais où nous
rencontrerons-nous ?
— Au manège de Yanagi.
— Vous êtes bien sûr que vous
viendrez ?
— Absolument sûr.
— Vous me promettez de ne pas
vous enfuir à nouveau ?
— Je ne m’enfuirai pas. L’une
des choses que je n’ai pas l’intention de t’enseigner, c’est le mensonge. J’ai
dit que je te retrouverai, et je te retrouverai... Maintenant, pendant qu’il n’y
a personne, nous allons te faire sauter le mur.
Jōtarō promena autour de
lui des regards circonspects avant de courir au mur où il s’arrêta net en
levant des yeux découragés. Le mur faisait plus de deux fois le double de sa
taille. Musashi le rejoignit, chargé d’un sac de charbon de bois. Il lâcha le
sac pour épier par une fente du mur.
— Voyez-vous quelqu’un de l’autre
côté ? demanda Jōtarō.
— Non ; rien que des
joncs. Peut-être y a-t-il de l’eau dessous ; aussi, attention à l’atterrissage.
— Ça m’est égal d’être
mouillé, mais comment arriver en haut de ce mur ?
Musashi ignora cette question.
— Nous devons nous attendre à
ce que l’on ait posté des guetteurs à des endroits stratégiques en dehors de la
porte principale. Regarde bien tout autour avant de sauter ; sinon, tu
risques de tomber sur la pointe d’un sabre.
— Je comprends.
— Je vais lancer par-dessus
le mur ce charbon de bois en guise d’appât Si rien ne se
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