La pierre et le sabre
leur suite
habitaient le quartier où il se trouvait. Il entendit le son plaintif d’un
flageolet, accompagné par les lents accents d’une flûte de Pan. Il imagina la
veillée funèbre autour du cercueil.
Il s’aperçut qu’il avait dépassé
le Shōkokuji, et n’était maintenant qu’à une centaine de mètres du cours
argenté de la rivière Kamo. Dans la clarté reflétée par un mur de terre, il distingua
une sombre silhouette immobile. L’homme s’avança vers lui, suivi d’une ombre
plus petite : un chien en laisse. La présence de l’animal le rassura :
l’homme n’était pas l’un de ses ennemis ; il se détendit et continua sa
route. L’autre fit quelques pas, se tourna vers lui et dit :
— Puis-je vous demander un
renseignement, monsieur ?
— A moi ?
— Oui, si ça ne vous ennuie
pas.
Il portait la coiffure et le hakama des artisans.
— Lequel ? demanda
Musashi.
— Excusez cette question
bizarre : avez-vous remarqué le long de cette rue une maison tout
illuminée ?
— Je ne faisais pas très
attention, mais non, je ne crois pas.
— Je suppose que je me suis
de nouveau trompé de rue.
— Que cherchez-vous ?
— Une maison où il vient d’y
avoir un décès.
— Je n’ai pas vu la maison
mais j’ai entendu une flûte et un flageolet, une centaine de mètres plus haut.
— Ce doit être là. Le prêtre
shintoïste doit être arrivé avant moi et avoir commencé la veillée.
— Vous prenez part à la
veillée ?
— Pas exactement. Je suis
fabricant de cercueils à la colline de Toribe. On m’a demandé de me rendre à la
maison Matsuo ; je suis donc allé à la colline de Yoshida. Ils n’y
habitent plus.
— La famille Matsuo, sur la
colline de Yoshida ?
— Oui ; je ne savais pas
qu’ils avaient déménagé. J’ai fait beaucoup de chemin pour rien. Merci.
— Un instant, dit Musashi. S’agirait-il
de Matsuo Kaname, qui est au service du seigneur Konoe ?
— C’est ça. Il est tombé
malade une dizaine de jours seulement avant de mourir.
Musashi se détourna et poursuivit
son chemin ; le fabricant de cercueils se hâta dans la direction opposée.
« Alors, mon oncle est mort »,
se dit Musashi sans émotion. Il se rappelait comment son oncle avait gratté,
épargné pour accumuler une petite somme d’argent. Il songeait aux gâteaux de
riz qu’il avait reçus de sa tante et dévorés sur la berge de la rivière gelée,
au matin du Nouvel An. Il se demandait vaguement comment sa tante s’en tirerait
maintenant qu’elle se trouvait toute seule.
Debout sur la berge de la Kamo, il
contemplait le sombre panorama des trente-six collines de Higashiyama. Chaque
sommet paraissait lui rendre un regard hostile. Puis il descendit en courant
vers un pont de bateaux. De la partie nord de la ville, il fallait traverser
ici pour atteindre la route du mont Hiei et le col menant à la province d’Omi.
A mi-parcours, il entendit une
voix forte, quoique indistincte. Il s’arrêta pour écouter. Le courant rapide
clapotait gaiement ; un vent froid balayait la vallée. Musashi ne pouvait
situer la provenance de ce cri ; au bout de quelques pas encore, le son de
cette voix le fit s’arrêter de nouveau. Toujours incapable de déterminer d’où
elle venait, il se hâta vers l’autre rive. Comme il quittait le pont, il
aperçut un homme aux bras levés qui accourait vers lui du nord. Cette
silhouette lui semblait familière.
C’était... Sasaki Kojirō. S’approchant,
il salua Musashi avec une excessive cordialité. Après un coup d’œil en travers
du pont, il demanda :
— Vous êtes seul ?
— Oui, bien sûr.
— J’espère que vous me
pardonnerez pour l’autre soir, dit Kojirō. Merci d’accepter mon
intervention.
— Il me semble que ce serait
à moi de vous remercier, répondit Musashi avec une égale politesse.
— Vous allez au combat ?
— Oui.
— Tout seul ? redemanda Kojirō.
— Oui, naturellement.
— Hum... Je me demande,
Musashi, si vous avez mal compris l’écriteau que nous avons apposé à
Yanagimachi.
— Je ne crois pas.
— Vous êtes pleinement
conscient des conditions ? Il ne s’agira pas d’un simple combat d’homme à
homme, comme dans le cas de Seijūrō et Denshichirō.
— Je sais.
— Bien que l’on se batte au
nom de Genjirō, il sera assisté par des membres de l’école Yoshioka.
Comprenez-vous que ces « membres de l’école Yoshioka » pourraient
être
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