La pierre et le sabre
arts
martiaux, n’est-ce pas, monsieur ?
— Exact.
— Alors, pourquoi
sculptez-vous une image de Kannon ?
Musashi ne répondit pas tout de
suite.
— ... Au lieu de sculpter, ne
vaudrait-il pas mieux consacrer votre temps à vous exercer au sabre ?
Cette question fit souffrir
Musashi plus que ses blessures. L’acolyte avait le même âge environ que Genjirō,
et presque la même taille. En ce jour fatal, combien d’hommes avaient été tués
ou blessés ? Musashi ne pouvait faire que des suppositions. Il n’avait pas
même un souvenir net de la façon dont il s’était dégagé de la bataille et dont
il avait trouvé un endroit où se cacher. Les deux seules choses qui restaient
gravées très clairement dans son esprit et le hantaient dans son sommeil, c’étaient
le cri terrifié de Genjirō et la vue de son corps mutilé.
Il repensa, comme il l’avait fait
plusieurs fois au cours des récentes journées, à la résolution notée dans son
carnet : il ne ferait rien qu’il pût regretter ensuite. S’il estimait ce
qu’il avait fait comme inhérent à la Voie du sabre, une ronce sur le chemin qu’il
s’était choisi, alors il devrait admettre que son avenir serait sinistre,
inhumain.
Dans la paisible atmosphère du
temple, son esprit s’était clarifié. Et une fois que le souvenir du sang
répandu commença de s’effacer, Musashi fut accablé de chagrin à cause de l’enfant
qu’il avait massacré. Son esprit revenant à la question de l’acolyte, il dit :
— N’est-il pas vrai que des
grands prêtres comme Kōbō Daishi et Genshin ont fait des quantités d’images
du Bouddha et des bodhisattvas ? Si je comprends bien, ici, sur le mont
Hiei, bon nombre de statues ont été sculptées par des prêtres. Qu’en penses-tu ?
La tête penchée, le garçon
répondit, incertain :
— Je n’en suis pas sûr, mais
il est vrai que les prêtres font des peintures et des statues religieuses.
— Je vais te dire pourquoi. C’est
parce qu’en peignant un tableau ou en sculptant une image du Bouddha, ils se
rapprochent de lui. Un homme d’épée peut se purifier l’esprit de la même façon.
Nous autres humains levons tous les yeux vers la même lune, mais nombreuses
sont les routes que nous pouvons emprunter pour atteindre le sommet du pic le
plus rapproché d’elle. Parfois, quand nous perdons notre route, nous décidons d’essayer
celle de quelqu’un d’autre, mais le but suprême, c’est de trouver l’accomplissement
dans la vie.
Musashi s’interrompit comme s’il
avait eu autre chose à dire, mais l’acolyte courut en avant et désigna une
pierre presque enfouie dans l’herbe.
— Regardez, dit-il. Cette
inscription est de Jichin. C’était un prêtre... un prêtre célèbre.
Musashi lut les mots gravés sur la
pierre couverte de mousse.
L’eau
de la Loi
Coulera
bientôt peu profonde.
A
la fin des fins,
Un
vent froid, aigre, soufflera sur
Les
pics désolés de Hiei.
Il fut impressionné par les dons
de prophétie de l’auteur. Depuis le raid impitoyable de Nobunaga, le vent avait
certes été froid et aigre sur le mont Hiei. Le bruit courait que certains
membres du clergé avaient la nostalgie du passé, d’une armée puissante, d’une
influence politique et de privilèges spéciaux, et le fait est qu’ils ne
choisissaient jamais un nouvel abbé sans beaucoup d’intrigues et de vilains
conflits internes. La montagne sainte avait beau être consacrée au salut des
pécheurs, sa survie dépendait en réalité des aumônes et des donations de ces
mêmes pécheurs. Un état de chose fort peu satisfaisant, songeait Musashi.
— ... Allons, dit le garçon
avec impatience.
Comme ils reprenaient leur marche,
l’un des prêtres du Mudōji accourut.
— Seinen ! cria-t-il au
garçon. Où vas-tu donc ?
— Au grand temple. Il veut
voir une statue de Kannon.
— Ne pourrais-tu l’y conduire
une autre fois ?
— Pardonnez-moi d’emmener cet
enfant alors qu’il doit avoir du travail à faire, dit Musashi. Je vous en prie,
remmenez-le. Je peux aller au grand temple à n’importe quel moment.
— Je ne viens point pour lui.
Je voudrais que vous reveniez avec moi, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
— Moi ?
— Oui, je regrette de vous
ennuyer, mais...
— Quelqu’un est venu à ma
recherche ? demanda Musashi sans la moindre surprise.
— Mon Dieu, oui. Je leur ai
dit que vous n’étiez pas là, mais ils ont
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