La pierre et le sabre
se justifier.
Plus Musashi gardait le silence,
et plus les langues devenaient vipérines. Enfin, son visage rosit, et il dit :
— Ne parliez-vous pas de la
voix du ciel s’exprimant à travers un homme ?
— Si ; et alors ?
— Entendez-vous par là que le
ciel se soit déclaré contre moi ?
— Vous avez entendu notre
décision. Vous n’avez pas encore compris ?
— Non.
— Je m’en doute. Un insensé
comme vous ne mérite pas la pitié. Mais j’ose dire que dans votre prochaine
vie, vous reviendrez à la raison !
Musashi se taisant, le prêtre
poursuivit :
— ... Je vous conseille de
prendre garde après avoir quitté la montagne. Il n’y a pas de quoi être fier de
votre réputation.
— Qu’importe ce que disent
les gens ?
— Ecoutez-le ! Il croit
encore avoir raison.
— Ce que j’ai fait était juste !
Dans mon combat contre les Yoshiokas, je n’ai rien fait de bas ni de lâche.
— Vous dites des bêtises !
— Ai-je fait une chose dont
je doive avoir honte ? Citez-m’en une !
— Vous avez le front de dire
ça !
— Je vous préviens. Je
passerai sur le reste, mais je ne permettrai à personne de médire de mon sabre !
— Fort bien, voyons si vous
pouvez répondre à une seule question. Nous savons que vous vous êtes battu
bravement contre des forces écrasantes. Nous admirons votre force brutale. Nous
louons votre courage à tenir contre tant d’hommes. Mais pourquoi donc avoir
assassiné un enfant de treize ans à peine ? Comment avez-vous pu être
assez inhumain pour massacrer un simple enfant ?
Musashi pâlit ; soudain, il
se sentit faible. Le prêtre poursuivit :
— ... Après avoir perdu son
bras, Seijūrō s’est fait prêtre. Denshichirō, vous l’avez tué. Genjirō
demeurait leur unique successeur. En l’assassinant, vous avez mis fin à la
maison de Yoshioka. Même si c’était fait au nom de la Voie du samouraï, c’était
cruel, lâche. Vous ne méritez même pas d’être traité de monstre ou de démon.
Vous considérez-vous comme un être humain ? Vous imaginez-vous digne du
rang de samouraï ? Appartenez-vous même à ce grand pays des fleurs de
cerisier ?... Non ! Et c’est pourquoi le clergé vous expulse. Quelles
qu’aient été les circonstances, le meurtre de l’enfant est impardonnable. Un
véritable samouraï ne commettrait point pareil crime. Plus un samouraï est
fort, plus il est doux et plein d’égards envers les faibles. Un samouraï
comprend et pratique la compassion... Et maintenant, allez-vous-en d’ici,
Miyamoto Musashi ! Le plus vite possible ! Le mont Hiei vous rejette !
Leur colère exprimée, les prêtres
repartirent.
Bien qu’il eût supporté en silence
ce dernier torrent d’injures, ce n’était point parce qu’il n’avait pas de
réponse à leurs accusations. « Ils ont beau dire, j’ai eu raison,
pensait-il. J’ai fait la seule chose que je pouvais faire pour défendre mes
convictions, qui sont justes, »
Il croyait sincèrement à la valeur
de ses principes, et à la nécessité de les défendre. Puisque les Yoshiokas
avaient fait de Genjirō leur porte-drapeau, il n’était plus resté d’autre
solution que de le tuer. Il était leur général. Aussi longtemps qu’il vivrait,
l’école Yoshioka resterait invaincue. Musashi aurait pu tuer dix, vingt ou
trente hommes, si Genjirō ne mourait pas les survivants se prétendraient
toujours victorieux. Tuer le jeune garçon d’abord faisait de Musashi le
vainqueur, même s’il devait être tué dans la suite du combat.
Selon les lois du sabre, cette
logique était sans faille. Et pour Musashi ces lois étaient souveraines.
Le souvenir de Genjirō ne l’en
troublait pas moins profondément, suscitant doute, chagrin et souffrance. La
cruauté de son acte était horrible, même à ses yeux.
« Devrais-je envoyer promener
mon sabre et vivre comme tout le monde ? » se demandait-il ; et
ce n’était pas la première fois. Dans le ciel clair du début de soirée, les
pétales blancs des fleurs de cerisier tombaient au hasard, comme des flocons de
neige, laissant les arbres aussi vulnérables d’aspect qu’il se sentait
maintenant, vulnérable au doute sur la question de savoir s’il ne devait pas
changer son mode de vie. « Si je renonce au sabre, je pourrai vivre avec Otsū »,
se disait-il. Mais alors, il se remémora la vie des bourgeois de Kyoto, et le
monde habité par Kōetsu et Shōyū.
« Ce n’est
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