La pierre et le sabre
partiraient. Elle devait l’accompagner sans se plaindre, et se fier
entièrement à son jugement. Otsū était trop bouleversée pour résister, et
l’éventualité de rester au temple dans l’anxiété se révélait pire encore que la
perspective d’accompagner Takuan.
Le lendemain, en fin d’après-midi,
celui-ci faisait encore sa sieste avec le chat, à l’angle du bâtiment principal
du temple. Otsū avait les traits tirés. Le prêtre, le serviteur, l’acolyte – tout
le monde avait essayé de la convaincre de rester. « Va te cacher » :
tel était leur conseil d’ordre pratique ; mais Otsū, pour des raisons
qu’elle-même pouvait à peine sonder, n’en éprouvait pas la moindre envie.
Le soleil descendait vite, et les
ombres épaisses du soir avaient commencé d’envelopper les crevasses de la
chaîne de montagnes qui suivait le cours de la rivière Aida. Le chat sauta à
bas du portique du temple, et bientôt Takuan lui-même passa sur la véranda.
Comme le chat devant lui, il s’étira en bâillant à se décrocher la mâchoire.
— Otsū !
appela-t-il, nous ferions bien de partir.
— J’ai déjà tout empaqueté :
sandales de corde, cannes, guêtres, papier à l’huile de paulownia.
— Tu as oublié quelque chose.
— Quoi donc ? Une arme ?
Faut-il prendre un sabre, une lance ou quoi ?
— Sûrement pas ! Je veux
emporter une provision de nourriture.
— Oh ! tu veux dire un
pique-nique ?
— Non, quelque chose de bon.
Je veux du riz, de la pâte de haricots salée et – mais oui ! —
un peu de saké. Tout ce qui est savoureux fera l’affaire. J’ai aussi besoin d’un
pot. Va à la cuisine faire un gros ballot. Et procure-toi une perche pour le porter.
Les montagnes proches étaient
maintenant plus noires que la meilleure laque noire, les montagnes éloignées
plus pâles que le mica. Comme on se trouvait à la fin du printemps, il
soufflait une brise tiède et parfumée. Bambous zébrés et glycines retenaient la
brume ; plus Takuan et Otsū s’éloignaient du village, plus les
montagnes, où chaque feuille luisait faiblement dans la pénombre, semblaient
avoir été baignées par une averse vespérale. Ils marchaient dans l’obscurité l’un
derrière l’autre, chacun portant sur l’épaule une extrémité de la perche en
bambou d’où se balançait leur ballot bien empaqueté.
— Belle soirée pour se
promener, hein, Otsū ? dit Takuan en jetant un coup d’œil par-dessus
son épaule.
— Je ne la trouve pas si
merveilleuse que ça, marmonna-t-elle. En tout cas, où allons-nous ?
— Je ne sais pas encore très
bien, répondit-il d’un ton légèrement songeur ; mais continuons encore un
peu.
— Mon Dieu, ça m’est égal de
marcher.
— Tu n’es pas fatiguée ?
— Non, répondit la jeune
fille, mais la perche, visiblement, lui faisait mal, car de temps à autre elle
la changeait d’épaule.
— Où sont-ils, tous ?
Nous n’avons pas rencontré une âme.
— Le capitaine ne s’est pas
montré de la journée au temple. Je parie qu’il a rappelé au village les
patrouilles, pour nous laisser tout seuls pendant trois jours. Takuan, de
quelle manière au juste te proposes-tu d’attraper Takezō ?
— Oh ! ne t’inquiète
pas. Il reparaîtra tôt ou tard.
— Mon Dieu, il n’a reparu
pour personne d’autre. Pourtant, même s’il reparaît, que ferons-nous ?
Avec tous ces hommes à ses trousses depuis si longtemps, il doit être acculé au
désespoir. Il se battra pour sauver sa peau, et il est très fort. J’ai les jambes
qui tremblent, rien que d’y penser.
— Attention ! Prends
garde de tomber ! s’exclama soudain Takuan.
— Oh ! cria Otsū
épouvantée en s’arrêtant pile dans son élan. Qu’est-ce qui se passe ?
Pourquoi m’as-tu fait peur comme ça ?
— Ne t’inquiète pas, ce n’est
pas Takezō. Je veux seulement que tu regardes où tu marches. Il y a des
pièges de glycines et de ronces tout au long de la route, par ici.
— Les patrouilleurs les ont
tendus là pour attraper Takezō ?
— Oui. Mais si nous ne
faisons pas attention, nous y tomberons nous-mêmes.
— Takuan, si tu continues à
dire des choses pareilles, je serai si nerveuse que je ne pourrai plus mettre
un pied devant l’autre !
— Pourquoi te tracasses-tu ?
Si vraiment nous tombons dans un piège, j’y tomberai le premier. Tu n’as pas
besoin de me suivre.
Par-dessus son épaule, il lui
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