La pierre et le sabre
fit
un large sourire.
— ... Je dois dire qu’ils se
sont attiré des tas d’ennuis pour rien.
Après un instant de silence, il
ajouta :
— ... Otsū, est-ce que
le ravin ne semble pas devenir plus étroit ?
— Je ne sais pas, mais nous
avons dépassé depuis un moment le dos de Sanumo. Ce devrait être Tsujinohara.
— Si c’est le cas, nous
risquons d’avoir à marcher toute la nuit.
— Mon Dieu, je ne sais même
pas où nous allons. Pourquoi m’en parler ?
— Posons ça une minute.
Une fois qu’ils eurent déposé le
ballot à terre, Takuan s’avança vers une falaise proche.
— Où vas-tu ?
— Me soulager.
Trente mètres au-dessous de lui,
les eaux qui se joignaient pour former la rivière Aida cascadaient avec un
bruit de tonnerre de rocher en rocher. Ce rugissement qui montait vers lui
remplissait ses oreilles et pénétrait tout son être. En urinant, il regardait
le ciel comme pour compter les étoiles. « Oh ! quel bien-être !
exulta-t-il. Suis-je un avec l’univers, ou l’univers est-il un avec moi ? »
— Takuan ! appela Otsū.
N’as-tu pas encore fini ? Tu ne te presses vraiment pas !
Enfin reparu, il s’expliqua :
— Tout en urinant, j’ai
consulté le Livre des mutations , et à présent je sais exactement quelle
ligne de conduite nous devons adopter. Maintenant, c’est tout à fait clair à
mes yeux.
— Le Livre des mutations ?
Tu ne portes pas de livre.
— Pas le livre écrit, sotte,
celui qui se trouve à l’intérieur de moi. Mon propre Livre des mutations .
Il est dans mon cœur ou dans mon ventre ou ailleurs. Debout là-bas, je
considérais la configuration du terrain, l’aspect de l’eau et l’état du ciel.
Puis j’ai fermé les yeux, et quand je les ai rouverts une voix m’a dit : « Va
à cette montagne, là-bas. »
Il désignait un pic proche.
— Tu veux parler du mont
Takateru ?
— Je n’ai pas la moindre idée
de son nom. C’est celui-là, avec à mi-hauteur la clairière en plateau.
— On l’appelle le Pâturage
Itadori.
— Ah ! vraiment, il
porte un nom ?
Quand ils y arrivèrent, le
pâturage se révéla être une petite plaine inclinée vers le sud-est et offrant
une vue magnifique sur les environs. Les fermiers y lâchaient généralement
chevaux et vaches pour paître, mais cette nuit-là on n’y voyait ni entendait le
moindre animal. Le silence n’était rompu que par la chaude brise printanière
qui caressait l’herbe.
— Nous allons camper ici,
annonça Takuan. L’ennemi, Takezō, me tombera entre les mains tout comme le
général Ts’ao Ts’ao de Wei est tombé aux mains de Tch’ou-ko K’oung-ming.
Comme ils déposaient leur fardeau,
Otsū demanda :
— Qu’allons-nous faire ici ?
— Nous allons nous asseoir,
répondit fermement Takuan.
— Comment pouvons-nous
attraper Takezō en nous contentant de nous asseoir ici ?
— Si tu poses des filets, tu
peux attraper des oiseaux en vol sans avoir à voler toi-même.
— Nous n’avons pas posé de
filets. Es-tu certain de n’être pas possédé par un renard ou quelque chose de
ce genre ?
— Faisons du feu, alors. Les
renards ont peur du feu ; donc, si je suis possédé par un renard, je serai
bientôt exorcisé.
Ils ramassèrent du bois sec, et
Takuan fit du feu. Cela sembla remonter le moral d’Otsū.
— Un bon feu, ça vous
ragaillardit, hein ?
— Ça vous réchauffe, en tout
cas. Ça n’allait donc pas ?
— Oh ! Takuan, tu sais
dans quel état j’étais ! Et je ne crois pas que personne aime vraiment
passer comme ça la nuit dans les montagnes. Que ferions-nous s’il pleuvait, en
cet instant précis ?
— En montant, j’ai vu une
grotte près de la route. Nous pourrions nous y abriter jusqu’à la fin de l’averse.
— Ce doit être ce que fait Takezō
la nuit et par mauvais temps, tu ne crois pas ? Il doit y avoir des endroits
comme celui-là sur toute la montagne. C’est sans doute aussi là qu’il se cache
la plupart du temps.
— Sans doute. Il n’a vraiment
pas beaucoup de sens commun, mais il doit en avoir assez pour se protéger de la
pluie.
Elle devint pensive.
— Takuan, pourquoi les gens
du village le haïssent-ils à ce point ?
— Les autorités les poussent
à le haïr. Il s’agit de gens simples, Otsū. Ils ont peur du gouvernement,
si peur que s’il le décrète ils chasseront les autres villageois, et jusqu’à
leur propre famille.
— Tu veux
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