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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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de
musique, submergée par ses propres émotions. Son souffle se mit à donner des
signes de fatigue ; de minuscules gouttes de sueur perlèrent à l’orée de
sa chevelure. Des larmes ruisselèrent le long de ses joues. Des sanglots
étouffés avaient beau rompre la mélodie, elle semblait se poursuivre à jamais.
    Et puis soudain, il se produisit
un mouvement dans l’herbe.
    Ce n’était pas à plus de quatre à
six mètres du feu, et cela faisait le bruit d’un animal qui rampe. Takuan
redressa vivement la tête. Les yeux fixés sur l’objet noir, il leva tranquillement
la main en signe de salut.
    — Eh ! toi, là-bas !
Il doit faire frisquet dans la rosée. Viens donc ici te réchauffer près du feu.
Viens bavarder avec nous, je t’en prie.
    Otsū, saisie, cessa de jouer
en disant :
    — Takuan, est-ce que tu
parles encore tout seul ?
    — Tu n’as pas remarqué ?
demanda-t-il, l’index tendu. Takezō est là-bas depuis quelque temps, à t’écouter
jouer de la flûte.
    Elle se tourna pour regarder puis,
poussant un cri aigu, lança sa flûte à la forme noire. C’était bien Takezō.
Il bondit comme un cerf effrayé, et prit la fuite.
    Takuan, aussi étonné que Takezō
par le cri d’Otsū, eut l’impression que le filet qu’il tirait avec tant de
soin s’était rompu, et que le poisson s’était échappé. Se levant brusquement,
il cria à pleins poumons :
    — Takezō ! Arrête !
    Il y avait dans sa voix une force
irrésistible, dominatrice, dont il était difficile de ne pas tenir compte. Le
fugitif s’arrêta comme cloué au sol, et regarda par-dessus son épaule, un peu
hébété. L’œil soupçonneux, il considéra Takuan.
    Le moine se tut. Se croisant
lentement les bras sur la poitrine, il rendit son regard fixe à Takezō.
Tous deux semblaient même respirer à l’unisson.
    Petit à petit apparurent au coin
des yeux de Takuan les rides qui marquent le début d’un sourire amical. Il
décroisa les bras, fit signe à Takezō, et dit :
    — ... Allons, viens.
    Au son de ces paroles, Takezō
cligna des yeux ; une étrange expression se peignit sur son visage sombre.
    — ... Viens donc ici, insista
Takuan, pour que nous puissions tous les trois causer ensemble.
    Suivit un silence perplexe.
    — ... Il y a de la nourriture
en abondance, et nous avons même du saké. Nous ne sommes pas tes ennemis, tu
sais. Viens près du feu. Causons.
    Nouveau silence.
    — ... Takezō, n’es-tu
pas en train de commettre une grave erreur ? Au-dehors, il existe un monde
où il y a du feu, de la nourriture, des boissons et même de la sympathie
humaine. Tu persistes à errer dans ton enfer personnel. Tu es en train d’acquérir
une vision bien déformée du monde, tu sais... Mais je ne veux plus tenter de
discuter avec toi. Dans l’état où tu es, tu ne saurais entendre raison. Viens
seulement ici, près du feu. Otsū, réchauffe le ragoût de pommes de terre
que tu nous as fait. J’ai faim, moi aussi.
    Otsū mit le pot sur le feu,
et Takuan plaça une jarre de saké près des flammes pour la chauffer. Cette
scène paisible calma les craintes de Takezō qui se rapprocha centimètre
par centimètre. Quand il fut presque au-dessus d’eux, il s’arrêta et resta immobile,
retenu, semblait-il, par quelque gêne intérieure.
    Takuan rapprocha du feu une pierre
et tapota l’épaule de Takezō.
    — ... Assieds-toi là, dit-il.
    Brusquement, Takezō s’assit. Otsū,
pour sa part, ne pouvait même pas regarder en face l’ami de son ancien fiancé.
Elle avait l’impression de se trouver en présence d’un fauve en liberté.
    Takuan, soulevant le couvercle de
la marmite, déclara :
    — ... Cela semble prêt.
    Il enfonça l’extrémité de ses
baguettes dans une pomme de terre, la sortit de la marmite et se la fourra dans
la bouche. Tout en mâchant avec entrain, il proclama :
    — ... Très bon ; très
tendre. Tu n’en veux pas, Takezō ?
    Takezō fit oui de la tête et
pour la première fois sourit, montrant une rangée parfaite de dents blanches. Otsū
remplit un bol, et le lui tendit ; sur quoi, il se mit tour à tour à
souffler sur le ragoût brûlant et à l’engloutir à grosses bouchées. Ses mains
tremblaient ; ses dents claquaient contre le bord du bol. Pitoyablement
affamé comme il était, il ne pouvait maîtriser ce tremblement. Cela faisait
peur.
    — ... Bon, hein ?
demanda le moine en posant ses baguettes. Que dirais-tu d’un peu de saké ?
    — Je ne

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