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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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à laisser n’importe qui la manier, voire à en jouer elle-même. » Il
avait pitié d’elle.
    En cette troisième nuit, pour la
première fois une lune de perle brilla dans le ciel, se dissolvant de temps à
autre derrière des nuées de brume. Les oies sauvages qui immigrent toujours au
Japon en automne et repartent au printemps semblaient retourner vers le nord ;
parfois, Takuan et Otsū percevaient les cris qu’elles poussaient parmi les
nuages.
    Takuan, s’éveillant de sa rêverie,
dit :
    — Le feu est tombé, Otsū.
Voudrais-tu remettre du bois dessus ?... Eh bien, que se passe-t-il ?
Quelque chose ne va pas ?
    Otsū ne répondit point.
    — ... Tu pleures ?
    Toujours pas de réponse.
    — ... Je suis désolé de t’avoir
rappelé le passé. Mon intention n’était pas de te bouleverser.
    — Ce n’est rien,
murmura-t-elle. Je n’aurais pas dû être aussi entêtée. Je t’en prie, prends la
flûte et joues-en.
    Elle tira l’instrument de son obi,
et le lui tendit par-dessus le feu. Il était dans un étui de vieux brocart fané ;
le tissu était usé, les cordons effilochés, mais l’ensemble gardait une
certaine élégance désuète.
    — Puis-je regarder ?
demanda Takuan.
    — Oui, je t’en prie. Ça n’a
plus d’importance.
    — Mais pourquoi n’en
jouerais-tu pas à ma place ? Je crois qu’en réalité j’aimerais mieux
écouter. Je vais juste m’asseoir ici comme ça.
    Il se tourna de côté, les bras
autour des genoux.
    — Bon. Je ne joue pas très
bien, dit-elle avec modestie, mais je vais essayer.
    Elle s’agenouilla cérémonieusement
sur l’herbe, redressa le col de son kimono, et salua la flûte posée devant
elle. Takuan se taisait. Il ne semblait même plus être là ; il n’y avait
que le vaste univers solitaire, qu’enveloppait la nuit. La forme sombre du
moine aurait tout aussi bien pu être un rocher tombé du flanc de la colline.
    Otsū, son pâle visage un peu
incliné, porta à ses lèvres l’objet qu’elle chérissait. Tandis qu’elle
humectait l’embouchure et se préparait intérieurement à jouer, l’on eût dit une
Otsū toute différente, une Otsū incarnant la puissance et la dignité
de l’art. Tournée vers Takuan, de nouveau et suivant l’usage elle nia toute
prétention au talent. Pour la forme, il approuva de la tête.
    Le son limpide de la flûte se fit
entendre. Tandis que les doigts fins de la jeune fille se mouvaient au-dessus
des sept trous de l’instrument, ses phalanges ressemblaient à de minuscules
gnomes absorbés dans une danse lente. C’était un son bas, pareil au murmure d’un
ruisseau. Takuan avait l’impression d’être lui-même devenu eau vive, précipitée
dans un ravin, jouant dans les creux. Quand résonnaient les notes aiguës, son
esprit s’envolait au ciel pour s’ébattre avec les nuages. Les sons de la terre
et les échos du ciel se mêlaient, transformés en soupirs nostalgiques de la
brise soufflant à travers les pins, se lamentant sur le caractère transitoire
de ce monde.
    Tandis qu’il écoutait en extase,
les yeux clos, Takuan ne pouvait s’empêcher d’évoquer la légende du prince
Hiromasa qui, alors qu’il se promenait au clair de lune à la porte Suzaku de
Kyoto en jouant de la flûte, entendit une autre flûte accompagner la sienne. Le
prince chercha le flûtiste, qu’il trouva au deuxième étage de la porte. Ayant
échangé leurs instruments, tous deux firent de la musique ensemble jusqu’à l’aube.
Ce n’est que plus tard que le prince découvrit que son compagnon avait été un
démon à forme humaine.
    « Même un démon, se disait
Takuan, est ému par la musique. Combien plus profondément un être humain,
soumis aux cinq passions, doit-il être affecté par le son de la flûte aux mains
de cette belle jeune fille ! » Il avait envie de pleurer mais ses
yeux demeurèrent secs. Il enfonça davantage son visage entre ses genoux qu’inconsciemment
il serrait plus fort dans ses bras.
    Tandis que la lueur du feu
pâlissait peu à peu, les joues d’Otsū devenaient plus vermeilles. Sa
musique l’absorbait tant que l’on avait peine à la distinguer de l’instrument
dont elle jouait.
    Appelait-elle sa mère et son père ?
Ces sons qui montaient vers le ciel demandaient-ils vraiment : « Où
êtes-vous ? » Et ne se mêlait-il pas à cette prière l’amer
ressentiment d’une jeune fille abandonnée et trahie par un homme sans foi ?
    Elle avait l’air enivrée

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