La pierre et le sabre
village et se
répercutaient au loin dans les montagnes. C’était le jour fatidique où le délai
de Takuan expirait, et les villageois s’élancèrent en haut de la colline pour
savoir s’il avait réalisé l’impossible. La nouvelle se répandit comme une
traînée de poudre :
— Takezō a été capturé !
— Non ! Qui est-ce qui l’a
attrapé ?
— Takuan !
— Je n’en crois pas mes
oreilles ! Sans armes ?
— Ça n’est pas possible !
La foule afflua au Shippōji
pour contempler bouche bée le hors-la-loi arrêté, attaché comme un animal à la
rampe de l’escalier devant le sanctuaire. Certains avalaient leur salive, le
souffle coupé devant cette vision comme s’il s’agissait du redoutable démon du
mont Oe. Comme pour minimiser leur réaction excessive, Takuan, assis un peu
plus haut sur les marches, appuyé en arrière sur les coudes, leur adressait un
sourire aimable.
— Bonnes gens de Miyamoto,
cria-t-il, maintenant vous pouvez regagner en paix vos champs ! Les
soldats seront bientôt partis !
Pour les villageois intimidés
Takuan était du jour au lendemain devenu un héros, leur sauveur et celui qui
les protégeait du mal. Certains s’inclinaient profondément devant lui, la tête
touchant presque le sol de la cour du temple : d’autres jouaient des
coudes afin de toucher sa main ou sa robe. D’autres encore s’agenouillaient à
ses pieds. Takuan, consterné par ces manifestations d’idolâtrie, s’écarta de la
populace et leva la main pour demander le silence.
— ... Ecoutez-moi, hommes et
femmes de Miyamoto. J’ai quelque chose à vous dire, quelque chose d’important.
Le vacarme s’apaisa.
— ... Ce n’est pas à moi que
revient le mérite d’avoir capturé Takezō. Ce n’est pas moi qui ai accompli
cela mais la loi de la nature. Ceux qui l’enfreignent finissent toujours par
perdre. Telle est la loi que vous devriez respecter.
— Ne sois pas ridicule !
C’est toi qui l’as attrapé, ce n’est pas la nature !
— Ne sois pas si modeste,
moine !
— Nous reconnaissons le
mérite là où il se trouve !
— Laisse tomber la loi. C’est
toi que nous avons à remercier !
— Eh bien, en ce cas,
remerciez-moi, poursuivit Takuan. Je n’y vois pas d’inconvénient. Mais vous
devez rendre hommage à la loi. Quoi qu’il en soit, ce qui est fait est fait, et
dès maintenant j’ai quelque chose de très important à vous demander. J’ai besoin
de votre aide.
— A quel sujet ? demanda
la foule, curieuse.
— Uniquement ceci : qu’allons-nous
faire de Takezō maintenant que nous l’avons pris ? Mon marché avec le
représentant de la Maison d’Ikeda – vous le connaissez tous de vue, j’en
suis sûr – était que si je ne ramenais pas le fugitif au bout de
trois jours, je me pendrais à ce gros cryptomeria. Si en revanche je
réussissais, l’on me promettait que je pourrais décider de son sort.
— Nous l’avons entendu dire,
murmura-t-on.
Takuan prit un air impartial.
— Eh bien, alors, qu’allons-nous
faire de lui ? Comme vous le voyez, le monstre redouté est ici en chair et
en os. Pas bien terrible en réalité, hein ? De fait, il est venu sans
résistance, le pauvre. Le tuerons-nous, ou le relâcherons-nous ?
Les objections grondèrent à l’idée
de remettre Takezō en liberté. Un homme cria :
— Il faut le tuer ! C’est
un bon à rien, un criminel ! Si nous le laissons vivre, il sera le fléau
du village.
Tandis que Takuan se taisait, l’air
de peser le pour et le contre, des voix irritées, impatientes, s’élevèrent des
derniers rangs :
— A mort ! A mort !
A ce moment, une vieille femme se
fraya un chemin vers le premier rang, en écartant avec de violents coups de
coude des hommes qui avaient deux fois sa taille. C’était naturellement la
vindicative Osugi. Quand elle atteignit les marches, elle foudroya quelques
instants du regard Takezō puis se retourna face aux villageois.
Brandissant une branche de mûrier, elle s’écria :
— Je ne me contenterai pas de
sa simple mort ! Qu’il souffre d’abord ! Regardez-moi un peu cette
face hideuse !
Se retournant vers le prisonnier,
elle leva sa badine en glapissant :
— ... Espèce d’affreux
dégénéré !
Et elle le flagella jusqu’à ce qu’elle
fût hors d’haleine.
Takezō grimaçait de douleur
tandis qu’Osugi se tournait vers Takuan, l’air menaçant.
— Que voulez-vous de moi ?
demanda
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